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L'info n°0909/05/2025

«Les jeunes ont la vision juste»

La Joc célèbre cette année ses 100 ans d’existence. Mohamed Mimoun, son coordinateur national, relate l’histoire, la méthode et les spécificités de ce mouvement d’éducation populaire où ce sont les jeunes qui organisent leurs combats.

Propos recueillis par David Morelli


Les actions menées localement par la Joc, comme les manifestations, sont décidées par les jeunes.

Quelles sont les origines de la Joc?

La «Jeunesse ouvrière chrétienne» (Joc) a été créée au sein de l’Église belge en 1925 par Joseph Cardijn. Ce prêtre, voyant les conséquences sociales de l’industrialisation, a voulu aider les jeunes travailleurs à s’organiser. La volonté de l’Église était de faire en sorte que les jeunes travaillent entre eux, indépendamment de leur classe, en tant que chrétiens. Mais pour Cardijn, il était important que les ouvriers et les pauvres s’organisent entre eux pour se concentrer sur leurs problèmes communs et éviter que la gravité de ceux-ci soient mis en question et atténués par les «classes supérieures». Sa stratégie, décriée dans un premier temps, a été soutenue par le Pape Pie XI. La Joc a ensuite évolué d’un mouvement de masse qui a eu jusque 100.000 jeunes adhérents à son apogée. Dans le pilier chrétien, les jeunes entraient à la Joc pour ensuite entrer à la CSC et aux mutualités chrétiennes. On était chrétien, on était à la Joc.

Cette essence chrétienne est-elle encore d’actualité aujourd’hui en Belgique?

Suite à un clash avec le Vatican en 1969, il y a eu une scission qui a abouti à la création de la Cijoc, aujourd’hui encore attachée au Vatican, et la Joc International. En 2014, la dénomination de la Joc a évolué, à l’image de ses membres, qui ne sont plus spécialement ouvriers ni chrétiens: il y a des athées, des juifs, des musulmans… On a donc gardé l’acronyme historique, mais sa signification a changé pour devenir «Jeunesse organisée et combative». Une dénomination volontairement inclusive.

Votre méthodologie est tout à fait originale et spécifique. En quoi consiste-t-elle?

Lorsque Cardijn a créé la Joc, il a organisé les jeunes de sa paroisse autour d’une méthode encore utilisée aujourd’hui: «Voir – Juger – Agir». C’est une méthode de réflexion effective sur l’action (voir page suivante). Les jeunes partent d’un problème qui les touche personnellement ou collectivement, comme le prix des logements, et posent des constats: par exemple, le constat que les logements sont trop chers pour eux. Pourquoi sont-ils trop chers? Là, on entre dans le «Juger»: parce qu’il y a une crise du logement, qu’il y a trop de logements vides, que trop de propriétaires sont cupides, etc. Enfin, ils passent à l’action: par exemple, une manifestation. Si on devait représenter cette méthode, ce serait sous la forme d’une spirale: nous avons vu, jugé et agi. Où en est-on après l’action? A-t-elle été un succès? Les choses ont-elles évolué? Sur base de la réponse, nous réutilisons notre méthode et relançons un cycle Voir – Juger – Agir. C’est notre manière d’avancer sans nous enfermer. Cette discipline permet à beaucoup de Jocistes d’évoluer, car les réflexions, les décisions et les actions sont entièrement réalisées par les jeunes, pas par les animateurs.

Notre nouvelle dénomination est volontairement inclusive.

Quelles sont les missions de votre organisation?

Notre objectif, c’est que les jeunes trouvent des solutions collectives à des problèmes qui, de prime abord, peuvent paraître individuels. Un jeune qui rencontre des problèmes va trouver d’autres jeunes dans la même situation ou avec les mêmes problèmes que lui et, ensemble, ils vont trouver des solutions. Par exemple, des jeunes qui n’ont pas d’espace pour étudier à la maison réfléchissent et agissent ensemble pour trouver un local et en faire un lieu d’étude commun. Ils vivent la même réalité et vont trouver une solution collective. Plus largement, nous sommes combatifs sur les questions antiracistes et décolonialistes, sur les questions de genre ou LGBTQIA+, les migrants, et bien entendu, la précarité. Ça fait beaucoup, mais c’est normal: notre organisation est très inclusive.

Comment vos réflexions et actions se matérialisent-elles?

La Joc est présente en Flandre, à Bruxelles et dans sept villes wallonnes. Les jeunes de chaque ville décident des thématiques qu’ils veulent traiter et des actions à mener, en fonction de la réalité de chacune d’entre elles. À Mons, par exemple, les jeunes sont très portés sur le climat et les questions de genre et antifascistes. À Bruxelles, ils travaillent beaucoup sur les violences policières, et à Charleroi, sur la lutte contre le fascisme. Ces derniers vont d’ailleurs organiser des actions en collaboration avec les organisations syndicales à l’occasion du 8 mai, parce que pour eux, c’est important de participer à ça. Toutes les décisions sont prises par ou en concertation avec les jeunes. Dans chaque ville, le permanent les accompagne dans les questions administratives et la comptabilité. Même en tant que coordinateur national, ce n’est pas moi qui décide. La Joc, c’est une pyramide inversée.

Vos actions naissent au niveau local, mais comment votre mouvement existe-t-il également au niveau international?

La Jeunesse ouvrière chrétienne internationale est présente dans plus de cinquante pays, sur tous les continents. Le socle commun, ce sont les jeunes précaires et les pauvres, car ce sont eux qui en ont le plus besoin. Souvent, quand on est précaire, on pense plus à sa survie plus qu’à construire quelque chose. Notre orientation, c’est d’aider ces jeunes à vivre et à stabiliser une réflexion pour s’en sortir. Tous les groupes jocistes travaillent avec la méthode Voir-Juger-Agir. Nous envisageons ensemble les grandes directions du mouvement à l’occasion de congrès européens et internationaux. Chaque pays est très autonome. Nous sommes par exemple le seul pays où la dénomination historique «Jeunesse ouvrière chrétienne» a été modifiée, mais d’un pays à l’autre, les rapports à l’Église sont très contrastés.

Comment appréhendez-vous l’avenir du mouvement et de la société?

Tout d’abord, il y aura une série d’activités pour commémorer le centenaire de l’association. Les commémorations ont débuté le 1er mai par un grand rassemblement à Laeken, dans le quartier où Cardijn avait sa paroisse. Un hommage lui a également été rendu là où il officiait. L’avenir de la société semble malheureusement plus chaotique: elle se désagrège. Les gens se divisent et le fascisme monte un peu partout… Pourtant, je reste optimiste parce que je pense que les jeunes ont la vision juste. Ils savent ce qui est bon pour eux et c’est ça le plus important, parce que le futur, c’est eux.




La méthode jociste


Voir:
Les Jocistes partagent ce qu’ils vivent dans leur vie quotidienne (travail, études, vie affective, famille…). Ils sont invités à être attentifs à la vie des autres jeunes.


Juger:
Les Jocistes portent un regard critique sur les situations de vie partagées lors de la première étape. Ils recherchent les causes des situations difficiles afin de pouvoir agir dessus. Ils confrontent ces situations à leurs convictions et à leur foi.


Agir:
Les Jocistes construisent un projet collectif ou personnel pour répondre aux situations problématiques vécues par les jeunes.