Aujourd’hui, le présentéisme – le fait de continuer à travailler malgré la maladie – semble plus répandu que jamais. Une situation qui risque de s’empirer avec la réintroduction par le gouvernement Arizona du certificat médical pour un jour de maladie.
Dominic Zehnder
Se rendre au bureau avec un état grippal ou travailler à la chaîne malgré une migraine: pas moins de 75% des Belges avouent continuer à travailler quand ils sont malades. C’est ce que révèle une enquête du service de prévention Mensura. Une étude récente de l’assureur NN Insurance confirme ces chiffres. Parmi les principales raisons invoquées par les travailleurs: le souci de faire bonne impression, la crainte du supérieur hiérarchique, ou encore la volonté de ne pas pénaliser les collègues. «Les chiffres peuvent varier selon la méthodologie de l’étude et la manière dont les questions sont formulées, explique Maarten Hermans, expert bien-être au travail à la CSC. Il s’agit en effet d’un recensement individuel, puisque ces jours de présentéisme ne sont pas enregistrés administrativement, contrairement aux absences pour maladie. L’ampleur du phénomène est donc sous-estimée depuis des années.»
Pourtant, le présentéisme est un véritable fléau, souligne l’expert. «Continuer à travailler même si l’on est malade augmente le risque de troubles mentaux ou de maladies de longue durée. Dans certains cas, le présentéisme peut même pousser les travailleurs à quitter prématurément le marché du travail.»
La décision du gouvernement Arizona de durcir les règles et d’exiger à nouveau un certificat médical dès le premier jour de maladie risque, selon Maarten Hermans, d’empirer la situation. «La réintroduction du certificat médical pour un jour de maladie pourrait entraîner une baisse des chiffres d’absentéisme enregistrés, non pas parce les gens sont en meilleure santé mais parce qu’un plus grand nombre d’entre eux viendront malades au travail. Avec toutes les conséquences qui en découlent, comme l’impact négatif sur la santé des collègues et l’augmentation du risque de maladies de longue durée. Ainsi, à cause d’un certificat médical, le nouveau gouvernement sabote directement sa propre politique de prévention de l’absentéisme pour cause de maladie», explique-t-il.
Bien que trois Belges sur quatre admettent travailler une, voire plusieurs fois par an alors qu’ils sont malades, les décideurs politiques continuent de focaliser leur attention sur les absences. Il est frappant de constater que, bien que de nombreux experts s’attendaient à ce que la pandémie de Covid mette fin à cette pratique, le phénomène n’a fait que s’amplifier. L’introduction du télétravail y a largement contribué. Selon Maarten Hermans, la crise sanitaire a mis en lumière une autre réalité. «Pendant la pandémie, nous avons constaté que les personnes qui indiquaient être en situation financière précaire allaient plus souvent travailler en étant malades que celles qui s’en sortaient mieux. Cette inégalité s’est creusée par rapport aux mesures relevées précédemment. Ce sont donc les personnes en situation de précarité professionnelle qui subissent le plus fortement les effets du présentéisme.»
Eva Van Laere, du service Interim United de la CSC, confirme que les travailleurs précaires n’ont souvent d’autre choix que de continuer à travailler même en étant malades. «Ceux qui ont des contrats journaliers ou hebdomadaires ne peuvent tout simplement pas se permettre un jour de maladie. En effet, les intérimaires craignent que leur contrat ne soit plus renouvelé s’ils s’absentent. En cas de maladie, il arrive qu’ils soient directement orientés vers la mutualité, où les indemnités sont moindres, même s’ils sont sous contrat, alors que l’agence intérimaire est en principe tenue de verser un salaire garanti. Certains bureaux d’intérim vont même jusqu’à annuler le contrat dès que les intérimaires s’absentent pour cause de maladie», explique-t-elle.
Jürgen*, travailleur dans une grande entreprise du port d’Anvers, confirme le problème: «Beaucoup de gens ressentent une énorme pression à continuer à travailler même s’ils sont malades. S’absenter pour cause de maladie, c’est risquer de ne plus jamais être rappelé. En outre, beaucoup sont dans une situation précaire, comme les nouveaux arrivants qui n’ont guère d’autres options sur le marché de l’emploi. Ils ne peuvent pas se permettre de perdre leur revenu. L’un des exemples les plus poignants est celui d’une personne qui a été victime d’un accident sur le chemin du travail. À cause de cet accident, elle a été en incapacité de travail pendant plusieurs semaines. À la fin de son contrat hebdomadaire, elle n’a plus jamais reçu d’autre contrat.»
Ceux qui ont des contrats journaliers ou hebdomadaires ne peuvent tout simplement pas se permettre un jour de maladie. En effet, les intérimaires craignent que leur contrat ne soit plus renouvelé s’ils s’absentent."
*prénom d’emprunt
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