En 2022, la législation concernant la réintégration des malades de longue durée (MLD) était réformée de manière significative. Des statistiques récemment publiées permettent de tirer des enseignements de cette nouvelle législation. Conclusion: le gouvernement Arizona aurait bien fait de s’inspirer de ces statistiques avant de signer son accord…
Laurent Lorthioir
La réforme d’octobre 2022 a introduit une nouveauté de taille en créant deux procédures distinctes, là où il n’y en avait qu’une seule auparavant. La première procédure est le «trajet de réintégration». Elle a pour objectif premier de permettre au médecin du travail de déterminer quand le travailleur malade sera apte à reprendre le travail (adapté ou non). Si le médecin du travail estime que le travailleur peut effectuer un travail adapté avant le terme de son incapacité de travail, la balle passe alors dans le camp de l’employeur qui a pour mission de proposer un plan de réintégration.
La seconde procédure est la «procédure spécifique pour force majeure médicale». Elle a pour unique objectif de déterminer si le travailleur pourra ou non retravailler un jour dans l’entreprise qui l’emploie (que ce soit une reprise «normale» du travail ou un travail adapté). C’est au médecin du travail qu’il revient de prendre cette décision. Si (et uniquement si) le travailleur est déclaré définitivement inapte, l’employeur peut alors le licencier pour force majeure médicale. À noter que cette procédure ne peut être activée, par l’employeur ou le travailleur, qu’après une incapacité de travail d’au moins neuf mois (il est probable que ce délai passe à six mois dans les semaines qui viennent si l’Arizona concrétise ce point de l’accord par une loi).
Cette distinction est manifestement une amélioration par rapport à l’ancienne législation. En effet, celle-ci, en intégrant la possibilité pour l’employeur de licencier pour force majeure médicale au terme d’un trajet de réintégration infructueux, devenait de fait un outil de licenciement à moindre frais pour les employeurs. Cela créait donc une confusion pour les travailleurs, mais aussi pour les médecins du travail, car on ne pouvait plus parler de «réintégration» lorsque le but poursuivi était de licencier.
En 2023, il y a eu 6.685 trajets de réintégration et 23.074 procédures spécifiques pour force majeure médicales qui ont été menés à terme.
Concernant les trajets de réintégration, trois trajets sur quatre sont initiés à la demande de l’employeur. Lorsque l’employeur en est le demandeur, seul un peu plus d’un tiers des travailleurs est déclaré apte par le médecin du travail à effectuer un travail adapté (de manière temporaire ou définitive). Lorsque c’est le travailleur qui demande le trajet de réintégration, ce chiffre est plus que doublé: 8 travailleurs sur 10 sont alors déclarés aptes à effectuer un travail adapté.
Parallèlement au «trajet de réintégration», les travailleurs semblent privilégier une voie de retour au travail moins formelle via les «visites de pré-reprise du travail» (66.784 en 2023). Nous n’avons par contre pas de données sur les reprises du travail menées à bien suite à une visite de pré-reprise.
Concernant la procédure spécifique pour force majeure médicale, 70% des demandes de démarrage de cette procédure sont initiées pour les employeurs. Lorsque l’employeur en est à l’initiative, un travailleur sur quatre se voit déclarer apte par le médecin du travail (et ne peut donc être licencié pour force majeure médicale).
L’accord Arizona prévoit d’intensifier fortement la remise au travail des malades (à lire en pages 2 et 3).
Pourtant, ces statistiques révèlent que:
Plus globalement, ces chiffres doivent aussi et surtout nous interpeller sur deux éléments. Tout d’abord sur le fait que tant que les employeurs ne seront pas contraints de jouer le jeu de la réintégration, la majorité d’entre eux préfèrera se séparer (à moindre frais si possible) d’un travailleur malade plutôt que de lui proposer un travail adapté, temporaire ou définitif.
Ensuite, ces chiffres sont un révélateur de l’état du monde du travail, qui rend les travailleurs malades. En Belgique, on compte désormais plus de 500.000 travailleurs en incapacité de travail depuis au moins un an. Nos dirigeants politiques commettent donc une grave erreur en concentrant toujours plus leurs efforts sur la remise au travail coûte que coûte via une politique de sanctions pour les travailleurs malades (lire interview en page 6).
La problématique est complexe. Les maladies dont souffrent les travailleurs sont multiples et variées. Certains ont besoin de temps pour récupérer un état de santé suffisant pour pouvoir (re)travailler, d’autres ne le pourront jamais. Et ce n’est certainement pas en les poussant à retourner au travail contre leur gré et alors qu’ils ne sont pas rétablis que l’on va inverser le cours des événements.
Au contraire, augmenter les efforts sur la prévention au travail aurait pour effet de diminuer le nombre de travailleurs rendus malades par leur travail, leur permettrait de revenir au travail dans un environnement plus propice et sain… Bref, il est indispensable d’agir sur les causes plutôt que sur les conséquences des maladies de longue durée!
Source: Enquête sociale européenne, 2023.
Pour 21% des travailleurs belges, il est impossible de consulter un médecin ou de recevoir un traitement nécessaire une ou plusieurs fois par an. Dans 17% des cas, cela est dû au fait qu’ils ne peuvent pas prendre congé au travail. Souvent, il s’agit de travailleurs déjà exposés à des risques pour la santé.
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