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L'info n°1527/09/2024

La démocratie au travail: un défi pour les syndicats

Il n’y aura pas de transition juste sans que les travailleurs et travailleuses n’aient leur mot à dire au sein des entreprises. La démocratisation de l’entreprise et des lieux de travail doit revenir au centre de l’agenda syndical et politique. Cela passe aussi, entre autres, par le développement d’une représentation collective dans les entreprises sans représentation syndicale, et par une représentation de tous les travailleurs, indépendamment de leur statut ou type de contrat.1

Geneviève Laforêt, (adapt. D.Mo)

Dans une optique de recherche permanente de performance économique, le travail représente pour les entreprises un coût qu’il faut réduire. Face à cela, les syndicats doivent se mobiliser pour recréer des droits pour tous les travailleurs, sur base du travail, au-delà de l’emploi.

Renforcer la capacité d’influence sur les décisions stratégiques

Dorénavant, les entreprises devront rendre compte de l’impact de leurs activités sur les plans environnemental, social, et de la gouvernance dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement (dès 2025 sur l’exercice 2024 pour les plus grandes entreprises). La directive européenne sur la publication des informations en matière de durabilité doit cependant encore être transposée en droit belge. Leur politique de durabilité devra faire l’objet d’une information-consultation des travailleurs au conseil d’entreprise.
En outre, la directive sur le devoir de vigilance, récemment votée au Conseil européen, obligera aussi les grandes entreprises de l’UE à rendre compte de leurs actions en matière sociale et environnementale, mais également à mettre en place des plans de vigilance. En cas de violation des droits de l’Homme ou de dommages causés à l’environnement, elles seront rendues responsables et devront en assumer les coûts. Nous devons préparer les militants afin qu’ils soient en capacité de s’impliquer sur les questions de durabilité et de transition juste. Se posent aussi les questions de l’effectivité des droits d’information-consultation et du renforcement de la capacité d’influence des travailleurs.

Il ne suffit pas d’être informé et d’avoir son mot à dire, il faut être entendu et obtenir des réponses étayées aux questions posées. Cela passe aussi par la nécessité de conditionner certaines décisions par des accords préalables, notamment en ce qui concerne l’organisation du travail, l’introduction de nouvelles technologies et les transitions professionnelles…

Entreprises sans représentation syndicale

La représentation et la délibération collective de tous les travailleurs constitue également l’une des pistes à explorer pour (re)construire du collectif et un rapport de forces favorable pour la négociation collective. Dans près d’une entreprise sur cinq qui a dû organiser des élections sociales en 2020, aucun syndicat n’a présenté de candidats. Cette tendance est certainement révélatrice d’une dégradation des conditions d’emploi et de travail (diversification des statuts, travail temporaire, mise en concurrence des travailleurs par des modes de management individualisants, intensification du travail et manque de temps, pressions patronales, etc.). L’augmentation des formes d’emploi dispersées sur différents lieux de travail et l’éclatement des collectifs de travail ne facilitent pas non plus la représentation et l’organisation collectives.

De plus, la majorité des travailleurs de PME sont privés de toute représentation, faute d’installation d’une délégation syndicale, et parce que la procédure de participation directe des travailleurs sur les questions de bien-être, en l’absence de délégation syndicale, n’est jamais mise en place par l’employeur. Là où le seuil d’installation reste trop bas, une délégation syndicale de zone ou de secteur, compétente pour plusieurs PME, pourrait par exemple être installée.

Des travailleurs sont tenus à l’écart de la représentation collective en raison de leur statut: intérimaires, flexi-jobs, freelancers, étudiants...


La directive sur le devoir de vigilance responsabilise les grandes entreprises au niveau social et environnemental.

Lever l’obstacle du statut

Outre le fait que des entreprises échappent au régime de représentation collective, des travailleurs en sont tenus à l’écart en raison de leur statut ou du type de contrat: les intérimaires, les flexi-jobs, les indépendants intégrés et freelancers, les étudiants, etc. Dans certaines entreprises, la proportion d’intérimaires atteint plus de 80% des effectifs. Les travailleurs sous statut d’indépendant sont de plus en plus nombreux dans presque tous les secteurs. Et les travailleurs occupés par les plateformes ou dans le cadre du régime de l’économie collaborative ne sont souvent ni salariés ni indépendants. 

Pour éviter cette division du monde du travail, les syndicats doivent développer de nouvelles formes d’organisation et d’action collectives susceptibles de créer un rapport de forces favorable à l’émergence de nouvelles protections sociales. En outre, des décisions politiques et des législations (européennes et nationales) sont nécessaires pour empêcher le détricotage du droit du travail, la sortie du salariat et la déresponsabilisation des entreprises. 
Le dumping social organisé à travers la sous-traitance en cascade sort également du champ de la démocratie sociale un grand nombre de travailleurs.

Ces changements demandent d’encourager et soutenir structurellement toutes les initiatives de militantisme visant à unir et à organiser collectivement les travailleurs dans le respect des réalités multiples du travail.

1. Article complet sur www.revue-democratie.be

© Donatienne Coppieters