Le dossier

L'info n°2006/12/2024

L’accès au permis de travail:

un enjeu de taille pour la Belgique

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À l’occasion de la journée internationale des travailleurs migrants du 18 décembre, la CSC lance une campagne qui vise à convaincre le monde politique de la nécessité de permettre l’accès au permis unique pour des personnes déjà présentes sur le territoire belge.

Aurore De Keyzer, resp. de la CSC Migrants.

Le permis unique, dispositif européen implémenté dans le droit belge en 2019, est un moyen pour des employeurs de faire appel à de la main d’œuvre issue des pays tiers pour les métiers dits en pénurie. Au lieu de demander une autorisation de travail puis un visa, ce permis simplifie la procédure. Un employeur qui souhaite recourir à la migration économique parce qu’il ne trouve pas de candidat en Belgique pour le poste à pourvoir peut en effet le faire en une seule demande, via un guichet en ligne.

Ce permis donne accès au travailleur à un emploi chez cet employeur uniquement pour une durée limitée, et par conséquent à un permis de séjour également limité dans le temps, généralement d’un an. Ce système protège les droits des travailleurs belges, car lors de la demande, il est stipulé que le contrat doit correspondre aux conditions d’emploi des travailleurs belges déjà en poste dans l’entreprise. Les barèmes doivent également être respectés, ce qui permet de lutter contre le dumping social.

Un permis (trop) unique

Bien que le système présenté semble convenir pour trouver des candidats à des postes où une pénurie structurelle s’est installée, il laisse sur le carreau un nombre important de possibles candidats qui ne peuvent pas y prétendre: les personnes qui n’ont plus de titres de séjours valables. À l’heure actuelle, les travailleurs qui n’ont plus de papiers ne peuvent en effet pas entrer dans le dispositif. Pourtant, dans de nombreuses situations, cette intégration constituerait la meilleure façon de régulariser leur situation!

En effet, dans plusieurs secteurs, des employeurs ont fait signer des CDI à des travailleurs qui étaient demandeurs d’asile. Il arrive qu’après des années de service, la décision du Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) tombe, et que le demandeur ne soit pas reconnu comme réfugié. Le candidat perd donc son titre de séjour et l’employeur est contraint de le licencier. Même si l’entreprise souhaite continuer à collaborer avec lui, la loi ne lui en laisse pas la possibilité. Il ne lui reste alors plus qu’une solution: trouver un autre candidat, en Belgique ou ailleurs. Et si le métier est toujours en pénurie, l’employeur ne peut finalement que déposer une demande de permis unique pour un autre travailleur. Beaucoup d’employeurs dans cette situation souhaiteraient simplement pouvoir poursuivre avec le travailleur formé, compétent et connaissant l’entreprise.

«Je suis inquiet pour l’avenir»

Nombre de travailleurs souhaiteraient eux aussi continuer à travailler chez leur employeur. Ils se sont construit une vie en Belgique et ne souhaitent pas retourner dans un pays où aucun avenir ne les attend.
C’est le cas par exemple d’Abdou Odoubi, demandeur d’asile d’origine béninoise, qui est arrivé en Belgique il y a quelques années et qui a déposé une demande de protection internationale. «En 2022, j’ai commencé à travailler comme ouvrier dans une école de Mons, raconte-t-il. Je me suis fait des amis parmi mes collègues. En 2024, je me suis présenté aux élections sociales. Je voulais me sentir utile et être présent pour mes collègues. Ma déléguée CSC m’a aidé à avoir confiance et m’a encouragé à me présenter. Aujourd’hui, je suis délégué au CPPT. Malgré cela, j’attends toujours la décision du Conseil du contentieux des Étrangers (CCE)1. Mon employeur souhaite que je reste en fonction, mais si demain, je reçois une réponse négative, je n’ai pas de solutions. Pourtant, le pouvoir organisateur de l’école est prêt à faire une demande de permis de travail pour moi. Je suis inquiet pour l’avenir.»

«Abdou est un vrai atout pour l’équipe et un super collègue, explique Veronique Taquin, collègue de M. Odoubi et déléguée CSC. Il est très investi dans son travail. Notre employeur souhaite vraiment continuer à collaborer, mais actuellement, la demande de permis de travail ne peut pas être faite. Nous croisons tous les doigts pour que son recours aboutisse. Après autant d’années passées en Belgique, un retour au Bénin n’aurait aucun sens!».

Malgré ce type de situation, loin d’être un cas isolé, les autorités restent sourdes aux demandes des employeurs. La logique du permis unique ne tient pas compte de cette réalité.

La commission européenne semble peu se soucier des conditions de détention des migrants.


Adbou Odoubi, demandeur d’asile, et sa déléguée syndicale Véronique Taquin.

La migration est nécessaire

Aujourd’hui, le débat sur la migration se cristallise autour de l’accueil des réfugiés et de la crise qu’elle engendrerait pour notre pays. Pourtant, parallèlement au respect des droits fondamentaux des migrants (lire encart ci-contre), la migration est également nécessaire pour faire face au vieillissement de la population et au besoin de travailleurs qui cotisent pour venir contribuer aux caisses de la sécurité sociale. Le fait de recourir à ce dispositif ne doit cependant pas nous faire oublier certaines des raisons qui font que certains métiers restent structurellement en pénurie. L’investissement dans la formation, de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires doivent rester nos priorités en tant que syndicat. Mais face à la pénurie qui touche de nombreux métiers, tels que ceux du soin, de l’enseignement, de l’industrie, de la mécanique, etc., la piste de la régularisation des travailleurs via le permis unique sera un petit pas dans la bonne direction.

Face à la pénurie dans de nombreux métiers, la régularisation des travailleurs est un pas dans la bonne direction.


1 Le CCE est une juridiction administrative indépendante chargée d’examiner, entre autres, les recours contre les décisions du CGRA concernant les demandes de protection internationale, NDLR.

La CSC Migrants donne la parole aux employeurs

Pour la CSC Migrants, il est nécessaire de convaincre le gouvernement fédéral de la nécessité d’accorder le permis unique à des travailleurs déjà en Belgique. Ce combat ne peut être mené sans les représentants du secteur patronal qui, eux aussi, souhaitent une réforme du dispositif du permis unique, notamment pour permettre le développement de leurs activités. C’est dans ce contexte que la CSC Migrants a mis sur pied une campagne vidéo originale donnant la parole à des patrons de différents secteurs pour aborder cette thématique dans le débat public. Elle invite également les employeurs à signer une lettre à notre futur gouvernement, pour demander d’apporter des modifications au permis unique pour permettre aux travailleurs de poursuivre leurs activités. Bon nombre de secteurs pourraient y voir une opportunité qui constituerait une véritable avancée en matière de droits des travailleurs migrants.

Retrouvez cette campagne sur la page Facebook «Migrants CSC» dès le 18 décembre!


© Shutterstock, © Aurore De Keyzer