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L'info n°1824/10/2025

Réforme du chômage:

vers plus de précarité

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Alors que 184.000 personnes s’apprêtent à être exclues de l’assurance-chômage, la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté du 17 octobre rappelle que derrière les chiffres abstraits se trouvent des personnes et des familles fragilisées par leur parcours.

David Morelli

La réforme du chômage constitue une rupture majeure avec les principes historiques de la sécurité sociale belge. Elle marque le passage d’un modèle assurantiel fondé sur les droits contributifs à un régime d’assistance temporaire, condi­tion­né par une logique d’activation. Pour le Réseau belge de lutte con­tre la pauvreté, «cette orientation entérine une conception où la protection sociale devient un levier de contrainte, supposée inciter au retour à l’emploi».

Si cette réforme participe officiellement au double objectif d’atteindre un taux d’emploi de 80% en 2030 et de réaliser des économies, elle vise surtout à diviser (les bons travailleurs à temps plein vs. les soi-disant fainéants) et à forcer les exclus à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix. «47,6% des personnes exclues sont peu scolarisées et les jobs difficiles à pourvoir ne correspondent pas aux profils des personnes exclues, rappelle Khadija Khourcha, responsable nationale des Travailleurs sans emploi (TSE) de la CSC. Pourtant, ces exclusions se déroulent en l’absence de politique globale de création d’emplois, de parcours de formation fluide qui mène à l’emploi ou de dévelop­­pe­ment de pla­ces de crèches et de moy­­­­ens de mobilité accessibles».

Dans ce contexte, la dégradation des conditions de travail est inéluctable: «les exclus risquent de devoir accepter des jobs hyper-précarisés (salai­res bas, emplois péni­bles, flexibilisation rendant difficile la conciliation vie privée et professionnelle…) pour pouvoir récupérer, à terme, leurs droits», explique-t-elle.

Basculements

Ce basculement vers l’aide sociale, soumise à des conditions de ressources strictes, va donc exclure et précariser un grand nombre de personnes. Cette rupture se traduit politiquement par la me­sure limitant à deux ans des allocations de chômage. Passée cette période, les allocataires n’ay­ant pas trouvé d’emploi devront se tourner vers les CPAS. De manière très concrète, à partir du 1er janvier 2026, quelque 180.000 chômeurs (86.000 wallons, 57.000 flamands et 40.700 bruxellois) vont être exclus du chômage en plusieurs vagues s’étalant jusqu’à la mi-2027. Le 15 septembre dernier, une première vague de courrier a informé les quelque 25.000 personnes qui ont bénéficié d’allocations de chômage complet pendant vingt ans que leur droit aux allocations prendra fin le 31 décembre 2025. Pour certaines de ces personnes, comme pour celles qui recevront le courrier de l’Onem plus tard, en fonction de leur situation concrète, les conséquences financières de cette exclusion risquent de les faire basculer, ou d’approfondir une situation déjà existante de précarité ou de pauvreté. «Même avec une allocation, 43% des personnes au chômage sont déjà en risque de pauvreté, avec une santé physique et mentale plus dégradée que le reste de la population», ajoute la responsable des TSE.

Conséquences concrètes sur les familles

À l’occasion d’une journée organisée par la CSC, la Ligue des familles (LDF) a présenté les résultats d’une enquête sur la perception par la population belge de la limitation du chômage dans le temps (à lire en page 9) ainsi qu’une série de tableaux présentant les profils familiaux qui vont être particulièrement affectés par ces nouvelles mesures, qui approfondissent ou créent de la pauvreté familiale.

Parmi ceux-ci, on trouve les familles où deux parents sont chercheurs d’emplois, ou des mères cohabitantes.

Les exclus risquent de devoir accepter des jobs hyper-précarisés.

Attention aux changements de statut

Les calculs de la LDF mettent également en lumière certains changements de statuts qui s’opèrent lors du passage du chômage au CPAS et leurs conséquences. En effet, les règles pour déterminer le sta­tut fa­milial au chômage et au CPAS ne sont pas les mêmes dans toutes les situations. C’est le cas par exemple pour les parents séparés percevant une pension alimentaire d’un ex-conjoint exclu. Au chômage, quand un conjoint séparé paye une pension alimentaire – typiquement, la mère a la garde des enfants, le père séparé au chômage paye une pension alimentaire, il est considéré comme chef de famille.

Si le «chef de famille» est exclu du chômage, il va changer de catégorie: au CPAS, il est «isolé». Il va donc perdre 460 euros de revenus mensuels. La pension alimentaire va donc être recalculée sur base de ce revenu moindre et faire baisser les revenus de la mère et donc, ceux à disposition des enfants.

Une aide est possible par le CPAS pour le paiement de la pension alimentaire, mais elle sera limitée par un double plafond. Cette nouvelle donne va aboutir non seulement au versement de sommes moindres, mais également à davantage de familles où la perception de la pension alimentaire deviendra très difficile.

«43% des personnes au chômage sont déjà en risque de pauvreté, avec une santé physique et mentale plus dégradée»