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L'info n°0110/01/2025

Des travailleurs

dans la nuit

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La «super note» rédigée par Bart De Wever dans le cadre de la formation du gouvernement fédéral supprime l’interdiction du travail de nuit, qui est la norme depuis 1921. Éclairage sur une activité qui n’est pas toujours sans conséquences sur la santé.

David Morelli

Le travail de nuit, défini comme toute activité professionnelle effectuée entre 20 heures et 6 heures du matin, est une réalité pour un nombre non négligeable de travailleurs en Belgique. Un peu moins de 10% des travailleurs salariés travaillent en effet occasionnellement ou régulièrement de nuit. Cela représente une part significative des travailleurs dans des secteurs comme l’industrie, la santé, l’aide sociale, le gardiennage ou encore l’e-commerce.

Aujourd’hui, c’est toujours le principe de l’interdiction du travail de nuit qui prévaut, avec une série d’exceptions qui le rendent possible sous certaines conditions. Là où il a lieu, son exécution fait l’objet de négociations, notamment en matière de sécurité et de rémunération, pour compenser l’inconfort lié à ce type de travail. Mais la «super note» de Bart De Wever laisse à penser que la coalition Arizona souhaite changer la donne.

Un mal (parfois) nécessaire

Pur la CSC, le travail de nuit est envisagé comme un mal nécessaire lorsqu’il est justifié par la nature du travail (dans le gardiennage, par exemple) ou par le besoin d’un service de jour comme de nuit: hôpitaux, hôtels, énergie, transport et industries où la production ne doit jamais être interrompue.

Si, dans bien des cas, travailler la nuit se révèle être un choix contraint, le sursalaire qui le compense, lorsqu’il existe (grâce à la négociation collective), peut constituer un facteur qui amène un travailleur ou une travailleuse à faire ce choix. Le travail de nuit peut également constituer une solution par défaut pour les personnes qui souhaitent pouvoir s’occuper des enfants durant la journée. Il y a donc de l’ombre et de la lumière dans l’appréhension de ces horaires particuliers de travail.

Effets sur la santé

Au-delà des enjeux de principe que poserait la suppression de l’interdiction du travail de nuit mentionnée dans la «super note», ce choix politique remet également en lumière les importantes questions sanitaires que pose le travail de nuit. En effet, bien qu’il n’existe pas de statistiques belges en la matière, de nombreuses études internationales pointent qu’il peut avoir des effets significatifs sur la santé des travailleurs (lire encart en page 9). Des études américaines indiquent que le travail de nuit augmente la mortalité de 11%. Il est également susceptible de nuire au maintien d’une vie sociale et familiale équilibrée des travailleurs, ce qui peut affecter le bien-être mental de certains d’entre eux. Si l’on aborde la question sous l’angle du genre, on constate que les travailleuses sont exposées à des risques de complications de fertilité et de grossesse. Selon une récente étude danoise, travailler au moins deux nuits par semaine augmente le risque de fausse couche d’un tiers la semaine suivante1. Le travail de nuit apparaît également comme un facteur de risque du cancer du sein chez la femme. Il est important à cet égard de rappeler que le travail de nuit posté (avec alternance irrégulière de périodes de travail de jour et de nuit) a été classé comme cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer pour l’être humain.

«Le rôle spécifique des conditions de travail est insuffisamment traité quand les politiques de santé publique sont définies. Les campagnes de sensibilisation autour de la détection précoce du cancer du sein ne mentionnent jamais le mot travail ou la question du travail de nuit», déplore Laurent Vogel, chercheur associé dans le domaine des conditions de travail, de la santé et de la sécurité à l’Institut syndical européen (Etui). À tout le moins, une surveillance médicale régulière est donc plus que jamais nécessaire pour détecter et prévenir les problèmes de santé liés au travail de nuit.

Régression sociale

Dans ce contexte, la question du caractère nécessaire du travail de nuit se pose également de manière aigue, particulièrement dans le secteur de l’e-commerce, qui fait office de terrain d’expérimentation douteux en la matière (lire page suivante). La «super note» aux lourds accents N-VA fait indubitablement l’impasse sur ces questions et, malgré l’impact négatif (et prouvé) du travail de nuit sur la santé, fait de la compétitivité l’horizon ultime de sa dynamique. à l’instar de la suppression de l’interdiction du travail du dimanche et les jours fériés, également mentionnée dans la «super note», la suppression de l’interdiction du travail de nuit constituerait une dangereuse mesure de flexibilisation du travail aboutissant à la disparition des compensations en termes de temps et de salaire. Une mesure inacceptable donc.


Le travail de nuit est un facteur de risque pour le cancer, notamment le cancer du sein.

Quand le travail (de) nuit à la santé


Les principaux impacts du travail de nuit sur la santé:

  • La perturbation du rythme circadien peut entraîner des troubles du sommeil (diminution de sa qualité et de sa durée), une somnolence diurne et une diminution de la vigilance qui augmente le risque d’accident sur ou en dehors du lieu de travail.
  • Risque accru de développer des troubles digestifs (le travail de nuit n’encourage guère un comportement alimentaire sain) et cardiovasculaires, y compris l’hypertension artérielle et les maladies coronariennes.
  • En matière de santé mentale, augmentation des risques de stress, d’anxiété et de dépression.
  • Risque de cancers: le travail de nuit posté, c’est-à-dire avec une alternance irrégulière de périodes de travail de jour et de nuit, a été classé comme cancérogène probable pour l’être humain. Des études réalisées, entre autres, auprès d’infirmières travaillant de nuit, mettent en évidence un risque de cancer du sein plus élevé parmi ces salariées que chez celles bénéficiant d’un horaire classique. 

Dans ce contexte, des mesures telles qu’offrir des pauses régulières, optimiser l’organisation du travail et fournir un suivi médical approprié permettent de minimiser ces risques.

 Sources: Etui et RTBF.


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 1 Source: «La Dépêche».