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L'info n°1527/09/2024

Des vents contraires en ce début d’année sociale

Au début d’une année d’activités, il est toujours bon de prendre un peu de hauteur et de voir ce qui nous attend. C’est aussi un moment pour s’attarder sur des sujets qui ont moins fait la une de l’actualité. La période passée et la période à venir ont été et seront déterminées par les évolutions climatiques, géopolitiques et économiques.

Maarten Gerard


Le gouvernement fédéral n’a pas encore été formé depuis les élections du 9 juin.

Pour l’instant, nous ne voyons pas de recul dans les chiffres relatifs à la croissance de notre pays, bien qu’on assiste à un net ralentissement sur le plan de la création d’emplois. Globalement, le chômage poursuit sa tendance à la baisse, mais nous sommes entretemps confrontés à un taux de chômage temporaire élevé. Cette situation correspond aux informations qui nous parviennent depuis plusieurs mois, en provenance surtout de l’industrie. De nombreuses entreprises, surtout dans le secteur industriel, traversent une période difficile et font face à des fermetures et des restructurations. Après Sapi et Van Hool, d’autres entreprises comme Ontex, BelGan et d’autres, sont en difficulté. Sans oublier Audi à Bruxelles, où on espère toujours qu’il y ait des repreneurs.
La question de la préservation et du renforcement de notre industrie sera l’un des défis centraux de cette année et des années à venir, y compris au niveau européen. Ce n’est donc pas une question de coûts salariaux comme certains débatteurs de droite se plaisent à le répéter. Tant que la Belgique sera bloquée entre l’Allemagne et la France qui veillent surtout à leurs propres intérêts, la situation restera compliquée. La nouvelle Commission européenne semble faire de ces défis une priorité, ce qui est une bonne chose. À condition que tout se déroule correctement, bien entendu. Il faut que les travailleurs puissent faire entendre leur voix dans le débat, que l’accent soit mis sur l’emploi de qualité et que ce débat s’inscrive dans le cadre de la transition vers une économie neutre en carbone.
Le budget et les nouvelles règles budgétaires sont également liés à la question industrielle et de la transition. La Belgique avait déjà obtenu un avis défavorable en juin. La question est maintenant de savoir comment la Commission mettra en œuvre les règles budgétaires européennes pour la Belgique. Avec un Conseil européen où la France et l’Italie obtiennent également de mauvais résultats budgétaires, l’effet pourrait peut-être être réduit, laissant ainsi un peu de marge pour les investissements sociaux nécessaires, mais aussi pour le climat.

Objectif climat

Parler de neutralité climatique pour notre industrie et notre économie ne relève pas du simple fait divers. Malgré le printemps et l’été pluvieux que nous avons connus, l'année écoulée s’est déjà profilée comme la plus chaude jamais enregistrée dans le monde, avec un dépassement des températures allant bien au-delà des projections prévues par les modèles climatiques. L'impact humain, écologique et économique du changement climatique continue de croître. Nous devons par conséquent veiller à ce que le sujet reste inscrit à l’ordre du jour. D’après les informations dont nous disposons, il semble avoir été peu pris en compte dans les négociations fédérales et régionales. Mais nous savons qui seront les premières victimes: les personnes vivant dans les logements les moins chers, sensibles aux coûts de l’énergie et aux inondations, les travailleurs exposés à des conditions météorologiques plus extrêmes, les travailleurs qui ne disposent pas de moyens de transport. Au cours de l'année à venir, nous devrons par conséquent continuer à travailler pour voir comment le système européen de l'ETS2, un système instaurant des taxes supplémentaires sur les émissions, peut déboucher sur la création d’un fonds social pour le climat qui aidera réellement ces personnes.
Notre économie et notre réaction face aux changements climatiques ne concernent pas uniquement notre pays ni uniquement l'Europe. Elles sont intégrées dans le système économique mondial et les vents qui y soufflent. Ces vents dépendent à leur tour de la situation géopolitique et celle-ci est très incertaine.

La question de la préservation et du renforcement de notre industrie sera l’un des défis centraux de cette année et des années à venir, y compris au niveau européen. Ce n’est donc pas une question de coûts salariaux comme certains débatteurs de droite se plaisent à le répéter.

L’incertitude au niveau international

La fin de la guerre en Ukraine n'est pas en vue et le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Le bilan humain à Gaza prend des proportions apocalyptiques. Là aussi, un cessez-le-feu est vital, mais le scénario d'une escalade régionale, avec une confrontation directe entre Israël et l'Iran, n'est pas impensable. Les conséquences potentielles seraient dramatiques. Et tout comme notre presse et nos faiseurs d’opinion, on ne parle mêle pas des nombreuses crises qui font rage: la guerre au Soudan, la situation au Tigré en Éthiopie, la situation dans l'Est du Congo qui se détériore de plus en plus… Ce ne sont pas des guerres lointaines dans des pays dits en développement. Ce sont des guerres pour les matières premières qui se déroulent dans le cadre de la transition énergétique et de l'avenir de notre système économique.
L'évolution de ces événements dépendra également en grande partie de l'équilibre entre les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis. La Chine est toujours en difficulté économique, mais elle se montre de plus en plus assertive, y compris à l'égard de l'Union européenne et de sa politique commerciale. Pour les États-Unis, il faudra attendre le résultat des élections présidentielles. Il semble y avoir un tournant positif, mais ne nous méprenons pas: le résultat est incertain! Et en fonction de l’issue de ces élections, l'Europe - et par conséquent les entreprises et les travailleurs européens - pourront plus ou moins tomber en disgrâce aux yeux des États-Unis.

Au niveau belge: beaucoup de négociations et peu d’accords

La situation politique belge est complexe. Les négociateurs flamands, bruxellois et fédéraux jouent les prolongations. Jusqu’à présent, les gouvernements wallon et de la Communauté germanophone sont formés. Le gouvernement wallon s’est fixé un projet à la fois volontariste et assez vague. La publication de véritables chiffres révèlera l’ampleur du dérapage politique et montrera qui devra payer les pots cassés.
Le projet d’un prochain gouvernement fédéral sera néanmoins crucial pour les droits des travailleurs. Les Engagés, le MR, Vooruit, le CD&V et la N-VA ont négocié tout l’été, sous la houlette de Bart De Wever. Cette coalition a été rapidement qualifiée de seul choix logique. La presse s’attendait à ce que la formation d’un gouvernement avance rapidement et que celui-ci imagine un programme de 28 milliards d’économies. Chimères que tout cela…
Les négociations avancent par à-coups. Les cinq partis sont encore loin d’un accord. Quiconque a lu la «super note» sur la réforme de la fiscalité, du marché de l’emploi et des pensions y a retrouvé un «copier-coller» du programme de la N-VA, nullement équilibré. La réforme fiscale restait assez vague, sauf sur un point: il était évident que les économies seraient financées par tous ceux qui ne travaillent pas 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et pendant 45 ans. Au moins.
En plus de toutes les attaques contre les syndicats, nous observons la limitation des pensions et des allocations, les attaques contre les malades et les misères faites à ceux qui doivent ralentir le rythme. Il est même question de supprimer tout simplement le RCC et l’emploi de fin de carrière. Mais l’attention accordée aux économies et à la fiscalité relègue quelque peu la flexibilisation du marché de l’emploi au second plan. L’index serait vidé de sa substance. On instaurerait le travail de nuit jusque minuit sans complément et le travail du week-end. Pas de durée minimale du travail, ce qui ouvrirait la voie aux contrats «zéro heure» ou aux contrats d’appel. Les CCT comporteraient des clauses d’opting-out. Certains envisageaient clairement de supprimer autant que possible les verrous collectifs.
Selon la perception publique, l’impôt sur les plus-values a provoqué l’échec des négociations. Pourtant, tout ce qui avait été énuméré jusqu’alors n’était rien d’autre qu’un catalogue des souhaits de la droite, avec quelques maigres compensations pour les autres. Les employeurs étaient les premiers à regretter le blocage des négociations. La perspective de réductions de charges, au lieu de se voir imposer de nouvelles obligations, les faisait déjà saliver.
La suite est particulièrement nébuleuse. Les allocations, les salaires et les droits des travailleurs sont sous pression. Nous ne permettrons pas un retour en arrière.
Cependant, maintenant que les élections communales approchent, il est peu probable que nous y voyions plus clair sur ce gouvernement fédéral. Ces élections seront considérées à la fois comme un moment de profilage et un bras de fer permettant de déboucher sur des décisions.


© Jean-Luc Flémal – Belpress.com