Le dossier

L'info n°0909/05/2025

S’attaquer au travail qui rend malade,

pas au travailleur malade!

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Pourquoi y a-t-il de plus en plus de malades de longue durée? Si leur nombre, important et croissant, fait couler beaucoup d’encre, les causes de cette augmentation sont rarement discutées. Les responsables politiques évitent ainsi d’aborder les véritables mesures structurelles de lutte contre les maladies de longue durée. À l’occasion de la Journée internationale pour la sécurité et la santé au travail du 28 avril, la CSC s’est concentrée sur la lutte contre le travail qui rend malade.

Maarten Gerard

Les médias et le débat politique s’intéressent beaucoup au groupe important et croissant de plus d’un demi-million de malades de longue durée (MLD) en Belgique, mais très peu aux raisons pour lesquelles ces chiffres continuent d’augmenter autant. Pourtant, les trois principales raisons de l’augmentation du nombre de MLD sont claires: un nombre croissant de femmes sur le marché du travail (dans des emplois qui rendent malade), la nécessité de travailler plus longtemps (sans prise en compte de la faisabilité) et l’augmentation du nombre de troubles psychiques et musculosquelettiques (liés au travail).

Un phénomène féminin

L’augmentation du nombre de MLD au cours des dernières décennies est un phénomène très féminin: 60% des malades de longue durée sont aujourd’hui des femmes. La première explication est l’augmentation du nombre de femmes qui travaillent, ce qui est évidemment positif en termes d’émancipation. Ce qui l’est moins, c’est qu’elles sont plus à risque de devenir MLD que leurs collègues masculins.

En effet, les femmes se retrouvent davantage dans des emplois et des secteurs présentant des risques plus élevés d’affections entraînant des MLD: soin, accueil des enfants, maisons de repos, nettoyage, titres-services, etc.

Ces secteurs sont parfois décrits à tort comme des «métiers doux»,.Pourtant, la proportion de travailleuses souffrant de problèmes de santé physique, par exemple dans le secteur des soins, est tout aussi élevée que dans les secteurs masculins dits «lourds», tels que l’installation et la réparation de machines ou l’extraction de pétrole et de gaz. Soulever des machines ou des patients tout au long de son shift rend tout autant malade à terme.

Travailler plus longtemps, en étant malade

La deuxième raison principale de l’augmentation du nombre de MLD est que les travailleurs doivent travailler de plus en plus longtemps, malgré leur épuisement physique et mental. Si l’espérance de vie augmente en Belgique, le nombre moyen d’années de vie en bonne santé n’augmente pas proportionnellement.

L’inégalité sociale en matière d’années de vie en bonne santé en Belgique se creuse également. À l’âge de 50 ans, les hommes ayant un faible niveau d’éducation vivent en moyenne encore 25 ans, contrairement aux hommes avec un niveau élevé d’éducation, qui vivent encore en moyenne 34 ans. Sur ce temps de vie restant, seules 13 années (pour les personnes peu qualifiées) et 22 (pour les personnes hautement qualifiées) sont des années en bonne santé. En d’autres termes, il n’est tout simplement pas possible pour de larges groupes de travailleurs de rester au travail jusqu’à l’âge de la pension de 67 ans sans tomber malade (de longue durée).

Dans leur offensive idéologique visant à prolonger la vie active pour économiser sur les pensions, les responsables politiques font fi de la réalité. L’âge de la pension est porté à 67 ans, les mesures visant à rendre le travail faisable jusqu’à la pension sont progressivement supprimées, et les promesses concernant le «travail faisable» restent essentiellement des promesses. Le fait de devoir de travailler plus longtemps et plus âgé sans prise en compte de la faisabilité du travail entraîne automatiquement une augmentation du nombre de travailleurs MLD.

Parmi les causes de maladie, le type de travail exercé est un facteur très important.

Le travail: un facteur important

La troisième raison principale est l’augmentation de deux types de troubles: les troubles psychiques, tels que le burnout, et les troubles musculosquelettiques, tels que les lombalgies, l’arthrose ou l’arthrite. Ensemble, ces deux groupes de troubles sont responsables de deux tiers des MLD en Belgique.

Tous les MLD souffrant d’une de ces maladies ne sont pas tombés malades uniquement à cause de leur emploi spécifique. Mais le travail exercé est un facteur extrêmement important, que ce soit directement, par l’exposition à des facteurs de risque au travail dont nous savons qu’ils sont à l’origine de ces maladies, et/ou indirectement. Ainsi, il est plus difficile pour les personnes avec une faible rémunération de garder ou de retrouver une bonne santé.

Dans le cas de troubles psychiques, les facteurs de risque au travail sont multiples: charge de travail élevée, manque d’autonomie et de liberté d’expression dans le travail, une insécurité d’emploi et une insécurité financière, et l’utilisation de technologies qui augmentent le contrôle et la charge de travail. Ces facteurs de risque ne diminuent certainement pas en Belgique, bien au contraire.

Le travail qui rend malade

Depuis le début des mesures en 1995, la charge de travail a considérablement augmenté dans de nombreux secteurs, tandis que l’autonomie au travail permettant de faire face à cette charge de travail de manière relativement saine ne s’est guère améliorée. Aujourd’hui, les employeurs utilisent déjà des technologies numériques pour mesurer ou contrôler le travail ou le comportement d’un tiers des travailleurs belges.

Pour 56% des travailleurs, ces technologies numériques déterminent le rythme de travail et 40% disent qu’elles augmentent encore la charge de travail. Par conséquent, la proportion de travailleurs souffrant de stress, d’anxiété ou de dépression est une fois et demie plus élevée sur les lieux de travail où l’employeur fait appel à de telles technologies (de contrôle).
Devoir faire de plus en plus de choses, de plus en plus vite, ne pas être autorisé à décider soi-même de la manière de le faire, et être contrôlé par une technologie qui garde un œil sur la manière dont on travaille: c’est du travail qui rend malade, qui nuit au bien-être mental et qui conduit finalement à la MLD.

Une personne sur cinq exerce un travail physiquement exigeant

Malgré l’utilisation accrue de la technologie au travail, l’exposition au travail physiquement exigeant et insalubre n’a pas diminué. Alors que la technologie allège ou élimine certains emplois physiquement exigeants, de tels emplois sont en augmentation dans d’autres secteurs.

En moyenne, un travailleur belge sur cinq déclare effectuer un travail physiquement lourd pendant au moins la moitié de son temps de travail. Ce pourcentage est encore plus élevé dans les secteurs industriels (23%) et dans le secteur des soins (29%). Ces travailleurs sont presque trois fois plus susceptibles de souffrir d’une incapacité, d’un trouble ou d’une MLD que les travailleurs qui n’exercent pas de travail physique lourd.
À l’heure actuelle, quelque 600.000 travailleurs en Belgique occupent de tels emplois. Si, en tant que société, nous permettons aux employeurs de continuer à exposer leurs travailleurs à de tels facteurs de risques de troubles musculosquelettiques à grande échelle, nous ne devrions pas être surpris que quelque 150.000 d’entre eux finissent par tomber malades de longue durée.


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