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L'info n°1824/10/2025

Aujourd’hui, l’avenir, je ne
l’envisage pas...

Malgré ses problèmes de santé, la charge d’un enfant handicapé et l’accumulation d’intérims durant des années, Julie [prénom d’emprunt], 59 ans, sera exclue le 1er janvier prochain. Elle est en colère.

Propos recueillis par David Morelli

J’ai eu mon diplôme de sténodactylo à 18 ans. Un diplôme qui ne vaut plus rien aujourd’hui. J’ai donc alterné périodes de travail, de chômage et de mutuelle. Mais je ne suis jamais restée inactive! J’ai beaucoup travaillé en intérim, fait des petits CDD. J’aurais évidemment souhaité avoir un CDI, mais aucune proposition ne m’a jamais été faite. Ces périodes de travail ont été entrecoupées de période de chômage durant lesquelles j’ai fait du travail en ALE [agence locale pour l’emploi] qui me prenait toute la journée: debout à 5h du matin pour commencer les garderies à 6h30 à l’école jusque 8h. Je rentrais chez moi et revenais le midi, et encore au soir pour les garderies jusque 18h30. J’ai également connu des passages par la mutuelle. J’en ai d’ailleurs été exclue malgré mon problème au niveau pulmonaire à l’époque où Maggie De Block avait lancé une chasse aux malades de longue durée. Je suis retournée me réinscrire au chômage, où un médecin de l’Onem qui a reconnu une incapacité de travail à 33% m’a accordé une dispense de recherche d’emploi. Je ne comprends pas pourquoi maintenant je reçois une exclusion… Bref, malgré mon état de santé et mes efforts, le gouvernement a décidé de m’exclure des allocations de chômage.

Les portes qui se ferment

Mon handicap a constitué un obstacle pour mes recherches d’emploi. J’ai par ailleurs des problèmes de dos: je ne peux pas porter du lourd ni rester en position debout ou assise trop longtemps. Beaucoup de jobs m’ont donc été refusés, même en intérim. J’ai pourtant accepté tout ce qui venait: travail en usine, à la chaine… Des jobs parfois très pénibles. J’ai toujours dû chercher dans les alentours pour pouvoir être disponible pour mon fils handicapé en cas de problème. Ça a sans doute limité les possibilités et les opportunités des contrats plus long. Mon âge a commencé relativement vite à jouer contre moi. Aujourd’hui, à 59 ans, toutes les portes se ferment.

Ma maman paye déjà parfois mes factures et ma fille m’apporte des sacs de courses. C’est une situation embarrassante…

Un plat ou un toit?

Si je peux émarger au CPAS, je n’aurai plus le droit au taux de chef de ménage qui m’est octroyé du fait que mon fils handicapé est à ma charge. De plus, son allocation de remplacement de revenus (ARR) va être déduite de ce que je recevrai… Soit une perte de 900 euros, presque le montant de mon loyer, auxquels s’ajouteront le manque à gagner de mes jobs ALE. Vais-je devoir choisir entre payer mon loyer et manger? Ma maman paye déjà parfois mes factures et ma fille m’apporte des sacs de courses. C’est une situation embarrassante…

«L’exclusion, c’est inhumain»

La décision d’exclure tous les chômeurs, c’est inhumain. Je sais qu’il est difficile de faire du cas par cas, mais mettre tout le monde dans le même sac, c’est trop simple. Tous ces gens qui, comme moi, multiplient les temps partiels pour s’en sortir, ne méritent pas d’être exclus. Le politique devrait tenter de débusquer les fraudeurs, pas sanctionner ceux qui travaillent. Mais finalement, je me tracasse plus pour mon fils que pour moi. On n’est pas éternels, et avec mon opération [Julie allait subir une opération pour une tumeur cérébrale quelques jours après l’entretien, NDLR], je ne sais pas comment sera l’avenir. Aujourd’hui, l’avenir, je ne l’envisage pas…

La plupart des témoignages de ce dossier ont été récoltés à l’occasion des séances d’information sur l’exclusion du chômage organisées par la CSC. Très loin de la caricature de chômeurs professionnels véhiculée par le ministre de l’Emploi, ils témoignent des obstacles (contrats et statut précaires, maladie, situation familiale…) qui les ont empêchés de sortir du statut de chômeur de longue durée, malgré leurs efforts… et leur travail.