Le dossier

L'info n°1922/11/2024

Personnes handicapées:

quelle place dans le monde du travail?

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À l’occasion de la Journée internationale de la personne handicapée, qui a lieu le 3 décembre, L’Info se penche sur l’intégration des personnes en situation de handicap dans le monde du travail «ordinaire», au-delà des entreprises de travail adapté. Et le constat est amer.

Vinciane Pigarella

Quinze pourcent de la population belge en âge de travailler est concernée par le handicap. Mais le taux d’emploi de ces personnes dépasse péniblement les 35% en Belgique, contre une moyenne de 50% dans l’Union européenne. Pourtant, près de la moitié des personnes handicapées inactives estiment possible de travailler.

L’analyse des chiffres issus d’une enquête1 réalisée auprès de 40.000 entreprises privées témoigne de la faible proportion de présence de personnes en situation de handicap physique ou mental au sein des entreprises privées, et ce, malgré des chiffres en augmentation de près de 15% par rapport à 2022. Fin 2023, ils représentaient 1 travailleur sur 369 (soit 0,27%) dans les entreprises belges2, à l’exclusion des entreprises de travail adapté (ETA). Autre constat: les (plus) petites entreprises embauchent proportionnellement plus de travailleurs en situation de handicap que les grandes.

Respect des quotas

Contrairement au secteur public, le secteur privé n’a pas de quota d’engagement de personnes en situation de handicap. En effet, le secteur public doit respecter un quota de 3,5%... et ne le respecte pas. Ce que déplore Luca Baldan, secrétaire fédéral de la CSC bâtiment – industrie & énergie (CSCBIE): «C’est un des combats menés par la CSCBIE (voir encadré). Tous les partis parlent d’inclusion, mais dans les faits, rien ne se met en place. Actuellement, il n’y a aucun courage politique. Cela fait des années que la CSC demande que le quota dans les services publics soit respecté. Beaucoup de tâches peuvent être réalisées par un travailleur en situation de handicap, mais c’est rare de voir ce type de personne dans une institution publique. C’est dommage». Pour que les personnes valides et moins valides travaillent ensemble, il ne faut pas attendre qu’un cas se présente pour mettre en place un processus d’intégration. «Lors d’échanges avec des collègues d’autres secteurs professionnels, on remarque que faute de (ré)intégration d’un travailleur en situation de handicap, dans le privé, ces personnes se dirigent alors vers les ETA, pour qui ce sont des profils forts», ajoute Luca Baldan.

Qu’est-ce qu’un handicap?

Pour la CSC, tout comme pour Unia3, un travailleur est considéré comme handicapé dès qu’il présente une limitation durable de ses capacités physiques ou mentales pour réaliser le travail pour lequel il est engagé. Si on suit cette définition, un travailleur victime d’un burnout peut être considéré comme travailleur en situation de handicap, tout comme les personnes souffrant de maladies chroniques, dégénératives, de troubles psychiques, voire d’obésité, dans certains cas. Dès lors, ne devrait-il pas y avoir autant d’exemples de cas de bonnes pratiques d’intégration, qu’il existe de types de handicap? Dans un monde parfait, certainement. Mais dans la réalité, il n’en est rien.

Discrimination et aménagement raisonnable

Dans une enquête menée en 2020 par Unia auprès des personnes en situation de handicap, 68% des répondants estiment que leur handicap les empêche de travailler dans un milieu ordinaire. Les aménagements sur le lieu de travail, comme l’accès à un interprète pour un employé sourd, ou du matériel informatique adapté pour un travailleur malvoyant, n’existent pas, ou s’organisent difficilement. Les employeurs n’anticipent pas suffisamment les problèmes, et quand des aménagements ont lieu, il semble qu’ils voient cela comme une faveur – ce qui est une forme de discrimination. Le manque d’accès aux transports, bâtiments et aux logiciels informatiques empêche la majorité des personnes handicapées d’exercer un métier. Enfin, quand une personne en situation de handicap est embauchée dans le milieu ordinaire, elle sait qu’elle risque de subir une inégalité de traitement, voire d’être licenciée en raison de son handicap. Ces travailleurs font d’ailleurs souvent partie des premières victimes lors de crises économiques majeures.

Des outils pour l’intégration avec la CSCBIE

La CSC bâtiment – industrie & énergie (CSCBIE) a rédigé plusieurs outils pour aider à l’intégration des personnes en situation de handicap. La «Charte pour l’intégration et la réintégration de la personne handicapée» est un document rédigé en 2007 par une quarantaine de délégués pour porter cette problématique dans les entreprises et la défendre pour améliorer cet aspect de solidarité. Cette charte est renforcée par une ligne de force extraordinaire, qui stipule que chaque entreprise doit s’engager à embaucher, intégrer ou maintenir au travail un certain nombre de personnes ayant des capacités mentales et/ou physiques réduites, causées ou non par un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Sensibiliser, encore et toujours

Pour Rachida Kaaoiss, du service Diversité de la CSC, il faut sensibiliser à la question du handicap pour garder ces profils dans la filière ordinaire. «L’incitant financier, c’est un peu la carotte au bout du bâton de l’employeur pour qu’il engage du personnel avec un handicap», explique-t-elle. La première étape, c’est de réaliser un audit de l’entreprise pour voir ce qu’il serait possible (ou pas) de mettre en place. Et pour aider les entreprises à se lancer, une formation à destination des délégués syndicaux existe. Grâce à des mises en situation pratiques, ils se mettent à la place d’un travailleur en situation de handicap pour trouver des pistes d’aménagements concrètes. «Si on est sensibilisé à la question, on est plus motivé à mettre en place cette politique d’inclusion. Ce n’est pas de la pitié qu’il faut avoir vis-à-vis de ces travailleurs, mais plutôt une volonté de les intégrer dans l’entreprise en tenant compte de leurs besoins spécifiques», détaille Rachida Kaaoiss.

À l’aube de 2025, il devient urgent de développer un monde du travail inclusif et conçu pour que chacun s’y sente bien et valorisé. «Quelque part, ce sont ces personnes en situation de handicap qui doivent devenir la norme, dans une entreprise, dans l’environnement de travail. Elles doivent être la référence. Aujourd’hui, on ne travaille pas du tout comme ça», conclut-elle.

Exemples de discriminations basées sur le handicap

  • Une personne aveugle qui serait écartée d’un emploi de bureau malgré le matériel informatique adapté. 
  • Une personne grosse qui se verrait refuser le poste d’hôtesse d’accueil pour lequel elle postulait en raison de son physique.
  • Un employeur qui refuserait les aménagements horaires d’un parent qui doit s’occuper d’un enfant handicapé.







1. Source: www.acerta.be
2 Voir tableau par secteur en page 7.
3. L’institution belge pour l’égalité des chances, NDLR.