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L'info n°1922/11/2024

Je ne veux pas forcer qui que ce soit à m’aider!

Nicolas, 29 ans, est infirme moteur cérébral de naissance et se déplace en chaise roulante électronique. Engagé depuis sept ans dans une entreprise privée de Louvain-la-Neuve, il est la seule personne handicapée à y travailler.

Propos recueillis par Vinciane Pigarella

Quel est votre parcours?

Après des études à l’Irahm (Institut royal d’accueil pour le handicap moteur), j’ai fait différents stages dans des PME et des TPE. Souvent, l’envie de m’engager était là, mais par manque de personnel, d’aménagement ou de moyens, ce n’était pas possible. Jusqu’au jour où, via le bouche-à-oreille, j’ai trouvé un emploi à Louvain-la-Neuve. J’ai passé un essai, un cap que beaucoup d’employeurs n’osent même pas franchir. Depuis 2017, j’y travaille 13 heures par semaine. J’ai travaillé au service communication et ensuite au service informatique.

Y a-t-il eu des aménagements au sein de l’entreprise?

Oui, bien sûr. Ils ont installé une margelle à l’entrée pour que je puisse monter facilement. Dans le service communication, j’avais un bureau plus haut que les autres, pour que ma chaise puisse passer et que je travaille dans de bonnes conditions. Au département IT, ils ont électrifié une porte de garage. Mais cet endroit sert aussi de remise, et parfois, je dois appeler quelqu’un pour retirer les cartons au sol. Cela montre que parfois, on s’en fiche.

Comment cela se passe-t-il avec les collègues?

Ça dépend des collègues. Par exemple, j’ai besoin d’aide pour enlever ma veste, pour brancher mon PC ou déposer mon sandwich dans le frigo. Ça demande une adaptation des collègues, voire de la direction. Il m’arrive d’avoir une poche urinaire. Une personne au sein de l’entreprise se sent à l’aise de la vider. Et si j’ai besoin de rentrer chez moi, c’est possible.

Pouvoir mettre ça en place, cela demande une dose d’humanité de la part des managers. Certains collègues n’ont pas de temps pour m’aider, ou disent qu’ils ne sont pas payés pour m’aider. Je travaille d’ailleurs seul dans un bureau, car l’open space n’est soi-disant pas aménagé pour quelqu’un en chaise. Mes collègues aimeraient que toute l’entreprise soit impliquée, pas uniquement leur service. Mais cela n’a pas de sens. Pour moi, l’aide doit venir des collègues directs. Et je ne veux pas qu’on force qui que ce soit à m’aider. Si on en arrive là, ça va encore plus mal se passer.

Comment cela se passe-t-il en matière de mobilité pour vous rendre au travail?

Me rendre au travail depuis ma résidence me prend 20 minutes, mais c’est compliqué. Il existe des navettes. C’est bien… quand elles respectent les horaires. Parfois, les chauffeurs arrivent avant que la journée ne soit terminée. La navette repart à vide et je rentre en chaise. Le train, c’est aussi une galère parce que généralement, il faut réserver 24 heures à l’avance, ni avant, ni après. Le système évolue peu à peu: il y a des gares où on peut réserver 3 heures à l’avance.

Même faire passer un essai est un cap difficile à franchir pour certains employeurs.

Y a-t-il un manque de volonté de la part des entreprises d’engager une personne handicapée?

Oui. J’imagine que beaucoup se disent que ça va prendre trop de temps de le former, de s’adapter à ses besoins. Les employeurs n’ont pas le temps pour relever le défi. On est absents dans les secteurs où on est visibles. Si on engage des travailleurs à mobilité réduite, ce sera pour travailler dans des bureaux, dans l’ombre, parce qu’on n’ose pas montrer ou on a peur que le handicap ne fasse pas vendre. C’est comme ça que je le ressens.


© Vinciane Pigarella