Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin, a proposé un avant-projet de loi qui autoriserait le gouvernement à interdire certaines organisations jugées «radicales».
Donatienne Coppieters (adapt. D.Mo)
Près de 100 personnes ont participé à la soirée organisée par la CSC Bruxelles pour débattre des risques liés à la Loi Quintin.
Cet avant-projet de loi suscite de vives préoccupations parmi les syndicats et les associations. Ceux-ci redoutent que la loi puisse permettre au gouvernement de dissoudre, de manière arbitraire ou injustifiée, toute organisation qu’il considérerait comme trop «dangereuse» ou «radicale». L’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH) a émis un avis défavorable sur cet avant-projet de loi. Il considère que tel qu’il est rédigé, il menacerait la liberté d’association et d’expression, protégée par la Constitution. L’avis du Conseil d’État devrait tomber prochainement.
Pour Alexis Fellahi, juriste au service d’études de la CSC, le projet de Loi Quintin constitue une menace pour les syndicats: «Le ministre Quintin vous affirmera la main sur le cœur que ce n’est pas le cas. Il ne vous mentira pas totalement, dans la mesure où son projet contient effectivement une disposition excluant les syndicats reconnus ou représentatifs de son champ d’application. Mais ce qu’il ne vous dira pas, c’est que si le gouvernement estime que les syndicats détournent leur finalité “déclarée ou reconnue pour réaliser des faits constituant une menace grave et actuelle pour la sécurité nationale ou la pérennité de l’ordre démocratique”, alors la mesure pourrait aussi s’appliquer aux syndicats. Elle concernerait également d’autres associations soi-disant exclues du champ de la loi, comme les partis politiques reconnus, les cultes reconnus ou certaines organisations professionnelles. Cette exclusion n’en est donc pas réellement une et c’est particulièrement inquiétant.»
Pour illustrer cette inquiétude, le juriste se remémore la vitesse avec laquelle la CSC a été accusée par un ministre de manipulation pour avoir simplement informé ses affiliés des conséquences de mesures adoptées par le gouvernement. «Alors que la CSC avait envoyé un mailing à ses affiliés qui allaient être concernés par l’exclusion des allocations de chômage au cours de l’année 2026, elle a été accusée de mener une campagne visant à attiser la peur de ses affiliés en vue de les mobiliser pour les prochaines actions. Le ministre de l’Emploi s’est emparé de la polémique pour accuser la CSC de “manipulation” de ses affiliés et de se prêter à des “agissements préoccupants” pour “faire peur, et pousser les gens à descendre dans la rue contre le gouvernement”. Bien que la CSC ait entretemps démontré qu’elle avait correctement informé ses affiliés, on sent bien au travers de cet exemple que la tentation est grande dans le chef de certains représentants gouvernementaux de considérer qu’un syndicat détourne sa finalité et constitue à leurs yeux une “menace grave et actuelle pour la pérennité de l’ordre démocratique”».
Pour Alexis Fellahi, cet incident illustre à quel point l’exclusion des syndicats du champ d’application de l’avant-projet de Loi Quintin ne constitue aucune garantie solide. «Et même si les syndicats bénéficiaient d’une immunité – ce qui n’est pas le cas – ils ont toutes les raisons de s’inquiéter de l’impact qu’un tel projet pourrait avoir sur d’autres organisations de la société civile, au sein desquelles ils sont parfois eux-mêmes actifs et donc concernés de manière indirecte», conclut-il.
© Tom Meremans