Les citoyens se sont exprimés via les urnes le 9 juin dernier. La question essentielle est à présent de savoir ce que les résultats des élections signifient pour les travailleurs.
Maarten Gerard
À tous les niveaux, fédéral comme régional, nous assistons à un renforcement de la droite. En Wallonie, une politique de droite se prépare, avec le MR et Les Engagés. En Flandre, le résultat mènera probablement à une majorité dans laquelle Vooruit remplacera le VLD, ce qui constituera un changement de cap intéressant après dix ans de centre-droit. À Bruxelles, le nœud est complexe à dénouer, tant à l’intérieur qu’entre les groupes linguistiques.
Au niveau fédéral, de nombreuses options se présentent et les intérêts de chaque formation sont tout sauf identiques. Le poids de la droite sera en tout cas sensible, avec la N-VA et un MR renforcé, ainsi que Les Engagés qui devraient plutôt s’orienter vers le centre-droit.
Ces éléments nous permettent déjà de cerner une série de défis, et peut-être aussi d’opportunités, auxquels les travailleurs seront confrontés.
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28 milliards d’euros d’économies sont prévus par l’Union européenne.
À cause des mesures budgétaires européennes absurdes, nous aurons probablement à affronter une trajectoire de consolidation de 28 milliards d’euros durant les sept prochaines années. Qui dit consolidation ne dit pas par définition austérité, car il est aussi possible d’arriver à ces 28 milliards au moyen de recettes supplémentaires. Des mesures d’économies seront toutefois incontournables, notamment en raison de ce que proposent les différents partis politiques. La grande question sera de savoir dans quels domaines réaliser ces économies. Nous savons qu’il est encore possible de trouver énormément de moyens au niveau de la politique économique et du soutien aux entreprises, mais reste à voir si cette piste sera envisagée. De même, on peut se demander dans quelle mesure on recherchera des recettes supplémentaires, sachant que des partis tels que la N-VA et le MR essayeront par tous les moyens de fermer la porte à de nouvelles recettes.
La sécurité sociale sera un thème important dans les discussions qui seront menées pour former les gouvernements. Des partis de droite comme la N-VA se font fort de réaliser des économies, surtout sur le dos de la sécurité sociale, en limitant la norme de croissance des soins de santé, en supprimant quasi intégralement l’enveloppe bien-être et en n’indexant plus certains allocations.
Le chômage, qui a toujours été le parent pauvre de la sécurité sociale, sera un point d’attention important. Les employeurs et les responsables politiques brandissent toujours l’image facile des chômeurs qui n’ont qu’à sortir de leur fauteuil pour trouver un bon emploi, sans tenir compte de la réalité à laquelle les demandeurs d’emploi de longue durée sont confrontés. La limitation des allocations de chômage dans le temps figure dans les programmes du MR, de la N-VA et du CD&V. Vooruit et Les Engagés conditionnent une limitation dans le temps à l’offre d’un emploi de base ou à des zones sans chômage de longue durée, ce qui met en fait à mal l’objectif de ces idées.
Bref, il est crucial de veiller à ce que les travailleurs ne deviennent pas la variable d’ajustement du budget en réduisant les droits actuels et futurs en matière de sécurité sociale.
Pendant la campagne électorale, tout quidam désireux d’être élu mettait en avant une réforme fiscale et la nécessité de récompenser le travail. On peut dès lors espérer que ces thèmes seront effectivement pris à bras-le-corps. Une réforme fiscale devrait alléger la fiscalité sur le travail et renforcer la fiscalité sur d’autres sources, à commencer par le patrimoine, les revenus du patrimoine et la pollution. Cette mesure nécessitera des équilibres budgétaires solides.
Espérons qu’on puisse déjà être débarrassé des déclarations incessantes et erronées autour de la nécessité d’une différence de 500 euros entre celui qui travaille et celui qui ne travaille pas. Tous les chiffres démontrent en effet que c’est quasiment toujours le cas.
Lorsqu’il s’agit de récompenser le travail, la question cruciale porte sur le fait de savoir si une réforme de la loi sur la norme salariale fera partie des sujets abordés. Cette loi bloque toujours les négociations salariales collectives, alors que nous sommes à l’avant-veille des négociations pour 2025-2026. Sachant quelle est la position des partis de droite N-VA et MR, le dossier ne sera pas évident et il sera nécessaire de maintenir la pression.
Le thème du climat a fait partie des grands absents de la campagne électorale. La problématique n’en reste pas moins actuelle. Les sécheresses étouffantes de ces dernières années ont marqué les esprits mais les pluies continuelles de l’hiver et du printemps n’augurent rien de bon non plus.
Miser sur la transition en réduisant les combustibles fossiles et en passant à une société au bilan carbone neutre requerra bien plus d’efforts qu’un débat stérile sur les centrales nucléaires qui, même en adoptant toutes les dispositions réglementaires requises - ce qui n’est déjà pas une mince affaire - durera encore minimum huit ans. Les questions de savoir comment un nouveau gouvernement fédéral arrivera à transformer l’industrie et la société au sens large et, surtout, comment il intégrera tous les citoyens dans une politique juste, restent pour l’instant largement sans réponse, tant dans les campagnes que dans les programmes politiques.
On peut s’interroger sur ce qu’il adviendra des droits des travailleurs et des droits syndicaux. Si l’on reprend le programme du MR, on peut y cocher une longue liste d’atteintes aux libertés syndicales, avec l'introduction de la personnalité juridique des syndicats, et donc, indirectement, une tentative de limiter le droit de grève, la suppression du paiement des allocations de chômage par les syndicats, la mise à l'écart des interlocuteurs sociaux dans la sécurité sociale et les fonds sectoriels, et le contournement des syndicats sur le lieu de travail. Le programme de la N-VA est du même acabit. La question est de savoir à quel point certaines revendications trouveront un écho. Tout dépendra de la composition finale du gouvernement. La vigilance est donc de mise.
La liste des défis ne s’arrête pas là. Qu’en sera-t-il par exemple de la réforme de l’État? Nous pourrions être confrontés à une discussion difficile, avec des dangers comme la scission de parties de la sécurité sociale. Les travailleurs n’ont pas grand-chose de positif à attendre d’un tel chantier.
Nous pouvons aussi nous inquiéter de la politique qui sera menée en matière de migration et d’intégration. La révision de la Constitution permet de renforcer des droits constitutionnels au cours de cette législature, mais on peut se demander dans quelle mesure les droits humains fondamentaux seront respectés au niveau politique.
Il faut également attendre de voir quel impact les élections auront sur le déroulement futur de la concertation sociale. Avant les élections, le Groupe des dix avait fait une déclaration commune sur la mobilité. Son objectif était de mettre la problématique de la mauvaise qualité de l’infrastructure de mobilité et de son financement à l’agenda politique, avec un volet prévoyant la poursuite des négociations entre interlocuteurs sociaux. Pour nous, il faut avant tout aborder la problématique des travailleurs qui vivent ou travaillent dans des zones isolées. Ce travail doit encore débuter.
Dans l’intervalle, nous avons entamé avec prudence les discussions sur l’enveloppe bien-être. Ce mécanisme doit permettre d’adapter les différentes allocations à l’augmentation du bien-être. Les chances d’avoir un gouvernement d’ici au prochain cycle de négociations semblent avoir augmenté, mais les discussions politiques en matière d’austérité et l’attitude des employeurs à ce sujet seront déterminantes.
Les employeurs voient clairement plus d’opportunités que pendant la Vivaldi et la volonté de réformes est rarement à l’avantage du travailleur. Le front commun syndical devra également se positionner, avec une grande question: qu’en sera-t-il si Vooruit, mais surtout le PS, ne font pas partie du gouvernement fédéral?
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