Le dossier icon

Le dossier

L'info n°2219/12/2025

«Nous restons, encore aujourd’hui, des laboratoires de développement local»

Pablo Berckmans revient avec passion sur l’histoire des médias de proximité, leurs spécificités et les liens intimes qu’elles ont tissé avec leurs publics.

«En Belgique, dans les années 1970, on regarde le monde depuis Bruxelles, Liège ou Namur, mais très peu depuis Libramont, Tournai ou Mouscron. La RTBF diffuse alors des décrochages régionaux, petites fenêtres ouvertes sur les provinces. C’est là que se forme la première graine d'expériences locales en mode «pirate»: TV Com, moteur allumé, magnéto dans le coffre (pour partir à l'arrivée de la police), piratait l'antenne de Bierge tandis que Canal C (Bouké) piratait sous le pont de jambe. Caméras lourdes, régies bricolées, enthousiasme immense des centres vidéo communautaires des associations de quartier et des centres culturels, avec des équipes bénévoles et beaucoup d’audace. Le monde associatif trouve sa voix à son antenne…

Décentralisation audiovisuelle


En 1984, la Communauté française reconnaît officiellement le rôle des télévisions locales. C’est l’époque où l’on comprend qu’un média de proximité peut retisser le lien social, informer sans filtre, préserver la mémoire locale et donner la parole aux habitants. Chaque région se met alors à créer sa “chaîne du coin”, soutenue par des communes, des provinces et un financement public balbutiant. Elles deviennent des ASBL, avec un mandat clair: informer, éduquer, refléter la vie culturelle et citoyenne. La voix du peuple est née: regardez-nous on vous regarde... Les télévisions locales – nos médias de proximité – ont été de véritables précurseurs en Europe, autant dans leur structure que dans leurs méthodes. Leur modèle d’ASBL, ancré dans le territoire, gouverné par un mandat public clair et nourri par les forces vives locales, a été observé, étudié et parfois imité dans plusieurs pays européens. Le Conseil de l’Europe, dès les années 80, cite d’ailleurs la Belgique comme exemple pionnier de décentralisation audiovisuelle.

Boucle de programmes


Parmi les innovations, l’une brille encore comme un clin d’œil de génie: Canal Zoom, la plus petite des chaînes, invente le système de boucle de programmes, permettant de diffuser en continu une sélection de contenus locaux. Une idée simple, élégante, lisible… qui sera ensuite reprise et adaptée par Euronews à sa création en 1993. Comme quoi, parfois, l’étincelle vient d’un petit studio niché dans un village wallon plutôt que d’une tour en verre.

Nos chaînes locales ont aussi bâti leur réputation sur une créativité féconde, une capacité d’adaptation quasi organique et un talent rare pour faire du terrain un laboratoire vivant. Elles sont régulièrement sollicitées et invitées par les chaînes nationales, précisément pour cette inventivité et ce savoir-faire artisanal mais ambitieux, né du contact direct avec le réel.

Laboratoires de vie


Nous restons, encore aujourd’hui, des laboratoires de vie et de développement local: flexibles, polyvalentes, enracinées dans un lien intime avec notre public. Ce lien, parfois, dépasse la seule information pour devenir une relation humaine, presque fraternelle. L’histoire de l’ex-gendarme Jean-Pierre Adam, dans le cadre des révélations sur la tuerie du Brabant wallon, en est un témoin éclatant. Alors qu’il avait TF1 et France 2 – les plus grandes chaînes européennes, fortes de millions de téléspectateurs – qui frappaient à sa porte, il a choisi de réserver ses éléments d’enquête à sa petite télévision locale TV Lux, celle qui l’avait toujours respecté, écouté, soutenu. Ce geste n’était pas anodin: il illustrait cette confiance indéfectible qui unit les habitants à leur télé locale. Une fidélité que les géants médiatiques ne peuvent ni acheter ni imiter…»

1984

C’est l’époque où l’on comprend qu’un média de proximité peut retisser le lien social, informer sans filtre, préserver la mémoire locale et donner la parole aux habitants.


© Pablo Berckmans