Les étudiants concurrencent-ils vraiment les travailleurs classiques? Leur travail met-il en péril l’emploi fixe? Les deux analyses qui suivent permettent d’obtenir des réponses nuancées à cette question d’actualité.
Donatienne Coppieters
Depuis le 1er janvier 2025, les étudiants peuvent travailler en job étudiant jusqu’à 650 heures par an, soit l’équivalent d’un tiers-temps environ. Le job étudiant est souvent présenté comme un moyen pour les jeunes de gagner un peu d’argent, de découvrir le monde du travail et/ou de financer leurs études. Mais derrière cette image positive, une réalité plus préoccupante s’installe: celle d’un glissement progressif du job étudiant vers une forme de précarisation structurelle du marché du travail. Et celle du glissement de l’emploi classique vers le travail étudiant, intérimaire ou en flexi-jobs.
«Avec l’extension du quota à 650 heures par an, le gouvernement a clairement choisi de répondre aux besoins de flexibilité des employeurs», analyse Bernard Dessy, responsable national des Jeunes CSC
Propos recueillis par Donatienne Coppieters
«Une des conséquences de cette mesure est que dans certains secteurs, comme la grande distribution, les contrats étudiants remplacent de plus en plus les contrats fixes. Les jeunes deviennent une main-d’œuvre bon marché, malléable, disponible le soir et le week-end. Ce n’est plus un appoint, c’est une substitution.
Cette concurrence entre les travailleurs tire vers le bas les droits et les conditions de travail. Elle banalise une relation de travail ultra-flexible, sans protection sociale, sans droit à la pension, sans sécurité d’emploi. Et elle met en péril le financement solidaire de notre sécurité sociale.
Pousser les jeunes à travailler toujours plus, c’est une fausse bonne idée. Cela renforce les inégalités sociales. Les étudiants issus de familles à faibles revenus doivent jober pour survivre, parfois au détriment de leurs études.
Le job étudiant devient alors une mauvaise réponse à une vraie question: comment garantir à chaque jeune les moyens de se former dans de bonnes conditions? Au lieu de déléguer la gestion de la précarité étudiante aux entreprises, les gouvernements devraient activer d’autres leviers: bourses d’études, logements abordables, transports publics accessibles, repas bon marché…
On prend dangereusement la direction inverse de celle qui a permis, historiquement, de protéger les enfants du travail.
Les Jeunes CSC ne sont pas opposés au travail étudiant. Mais nous refusons qu’il devienne un outil de précarisation. Nous plaidons pour la création d’un véritable statut de travailleur étudiant, avec cotisations sociales pour ouvrir les droits aux allocations de chômage, à la pension et aux vacances. Nous voulons aussi la fin de la discrimination salariale pour les moins de 21 ans. À travail égal, salaire égal! Et enfin, l’élargissement des montants et des conditions pour les bourses d’études.
Le travail étudiant ne doit pas être une porte d’entrée vers la précarité. Il doit être encadré, régulé et intégré dans une vision globale de justice sociale pour les jeunes.»
Les Jeunes CSC refusent que le travail étudiant devienne un outil de précarisation.
Pour Benjamin Moest, responsable du secteur Horeca au sein du service d’études de la CSC Alimentation et Services, «on pourrait penser qu’il y a un remplacement progressif des travailleurs fixes par des travailleurs étudiants… Mais en même temps, le volume des travailleurs fixes reste stable malgré le boum des étudiants.»
Propos recueillis par Donatienne Coppieters
«Le nombre de jobistes étudiants dans l’Horeca a presque doublé en six ans: ils étaient 60.000 en 2018 (18 millions d’heures prestées), et 102.000 en 2024 (30,7 millions d’heures). Leur temps de travail annuel moyen est passé de 280 à plus de 300 heures. Le nombre d’employeurs utilisant des étudiants est aussi en hausse: on est passés de 11.500 travailleurs jobistes en 2018 à 14.800 en 2024, principalement dans les restaurants et fast-foods.
Malgré cette croissance, le nombre de travailleurs fixes reste stable, autour de 120.000 (80.000 ETP). Dans certains sous-secteurs comme le catering ou les centres de vacances, les étudiants sont surtout présents l’été. Mais dans les fast-foods, bars et restaurants, ils sont désormais intégrés toute l’année dans le modèle économique de l’entreprise, en raison de leur flexibilité, du coût réduit, mais aussi du manque de personnel fixe.
Dans la réalité, les employeurs préféreraient disposer d’une équipe fixe de base complétée par des étudiants, flexi-jobs ou des intérimaires, mais ils peinent à recruter. Faute de mieux, ils misent sur les étudiants, devenus essentiels au fonctionnement du secteur et à son développement. Du coup, les organisations patronales cherchent à réduire encore le coût du travail étudiant. Lors des dernières négociations, ils ont obtenu une baisse temporaire (pour un an) de 10% du salaire des 18–20 ans (qui était à 100%).
Ils le justifient par le fait que comme les étudiants ne payent quasiment aucune cotisation, ils gagnent parfois plus que les travailleurs fixes, ce qui crée une discrimination. Les employeurs comptent revenir à la charge, mais c’est une ligne rouge pour la CSC qui estime que la solution est de donner des droits sociaux aux étudiants sur la base de cotisations sociales classiques (réduction du salaire net mais cotisation pour la pension, etc.) ou alors d’augmenter les salaires des travailleurs fixes. En tout cas certainement pas en baissant ceux des étudiants.
Les employeurs sentent bien que, vu les conditions du secteur – salaires bas, travail flexible, travail de soirée et de week-end, horaires coupés… – ça devient très compliqué d’attirer des travailleurs classiques. La solution pour eux est d’engager des étudiants. Mais certains employeurs ont compris que pour garder leurs travailleurs fixes, ils doivent mieux les traiter en leur libérant des soirées et des week-ends par exemple. Une adaptation nécessaire pour maintenir une équipe expérimentée et éviter de dépendre uniquement des étudiants.»
la CSC qui estime que la solution est de donner des droits sociaux aux étudiants sur la base de cotisations sociales classiques ou alors d’augmenter les salaires des travailleurs fixes.
13,31 euros
La somme que gagnent les étudiants par heure en moyenne.
500 heures
42,5% des étudiants jobistes travaillent plus de 200 heures par an et 12,5% dépassent les 500 heures.
363.152
Nombre d’étudiants jobistes au 1er janvier 2025 pour 436.708 jobs étudiants. Le volume de travail en heures rémunérées était de 24.070.019.
63%
Pourcentage des étudiants qui ont exercé un emploi rémunéré au cours de l’année 2024.
Sources: étude 2024-2025 du Laboratoire d’analyse sociologique du travail étudiant; ONSS.
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