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L'info n°1311/07/2025

Enzo: récit d’une construction de soi

Enzo est un magnifique film «d’apprentissage» qui, de manière pointilliste, fait écho à l’image négative et socialement genrée des métiers manuels.

David Morelli

Enzo, seize ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.

Construire sa route

Enzo n’est ni un film sur les conditions de travail des ouvriers de la construction, encore moins sur les causes de la pénurie de vocations dans le secteur. C’est d’abord et avant tout le portrait sensible et initiatique d’un adolescent «en apprentissage», qui tente de construire son avenir indépendamment du déterminisme familial.
Enzo est un adolescent qui réagit instinctivement au chemin tout tracé des études universitaires ou artistiques que sa famille, aimante, attentionnée, mais décontenancée face à ce choix professionnel, tente de lui faire suivre. Un choix de carrière perçu par le père d’Enzo, comme «manquant d’ambition» et intraduisible sous l’angle de la «réussite» sociale. À travers Enzo, deux mondes se côtoient sans se connaître et s’entrechoquent lorsqu’ils se rencontrent.
Une situation qui renvoie d’ailleurs en filigrane à la représentation auprès d’un très large public des métiers manuels et, a fortiori, du secteur de la construction: un secteur mal payé, dangereux, pénible. Quels parents souhaiteraient, sur cette base, que leur enfant travaille dans ce secteur?

C’est d’abord le portrait sensible et initiatique d’un adolescent «en apprentissage…»

L’enjeu du réenchantement

Ce dénigrement de la filière aboutit à ce que 14.000 emplois soient actuellement vacants pour des métiers classiques comme maçon ou électricien. Pourtant, aux antipodes de l’image fausse de ringardise dont le secteur peine à se défaire, la construction offre des perspectives d’emplois passionnantes et modernes tels que des postes d’opérateurs de drones ou des métiers liés à la réalité virtuelle ou augmentée sur les chantiers.
En filigrane donc, le film pose un véritable enjeu politique, social et syndical: celui du réenchantement et de la remise à l’honneur de métiers utiles et nobles qui, depuis de trop nombreuses années, sont socialement envisagés comme des choix de relégation plutôt que comme des moyens d’expression de talents manuels. Ce qui a sans doute pu mettre un frein à de nombreuses vocations…

(Dé)constuire les murs

Le film évoque avec justesse la réalité de la vie quotidienne sur un chantier, les relations et les tensions qui se jouent entre les ouvriers et l’aspect hautement physique et technique du métier. Dans un échange bouleversant entre le papa, professeur d’université, et son fils, l’intellectuel et le manuel se rejoignent lorsque Enzo lui explique que ce qui lui plaît dans ce métier, c’est de bâtir des choses qui durent. Une réflexion qui résonne dans un plan où père et fils s’extasient sur les ruines de Pompéi. Et si réenchanter l’humble – mais ambitieuse – noblesse de bâtir permettait de fissurer les murs invisibles qui entretiennent les clichés et séparent les classes?