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L'info n°1922/11/2024

LIEGE

À la rencontre des entreprises qui passent à l’action pour la biodiversité

Alors que la Cop 29 s’achève en Azerbaïdjan, L’Info se penche sur la question de la biodiversité. Celle-ci constitue en effet un enjeu écologique mais aussi économique, qui doit inciter à l’action dans toutes les entreprises. Focus sur certaines d’entre elles et leurs projets.

Danièle Ernotte (adapt D.Mo.)

Le constat est sans appel: la biodiversité est en chute libre. De nombreux animaux et plantes disparaissent à un rythme encore jamais égalé. On parle même d’extinction de masse, avec jusqu’à un million d’espèces menacées, souvent d’ici quelques décennies. Des écosystèmes irremplaçables comme dans la forêt amazonienne ne sont plus des puits mais des sources de carbone, en raison de la déforestation. Et 85% des zones humides, comme les marais salants et les mangroves, absorbant de grandes quantités de carbone, ont disparu.

Les causes majeures du déclin de la biodiversité sont l’artificialisation des sols, la surexploitation des ressources, les pollutions, les espèces exotiques envahissantes et, bien sûr, le changement climatique, qui pourrait bien devenir la principale cause de disparition des espèces d’ici la fin du XXIe siècle.

Un enjeu de taille pour les entreprises

Proposer des services et produits durables et respectueux de la biodiversité devient aujourd’hui un enjeu de taille pour les entreprises, même si toutes n’en ont pas encore conscience. Certains secteurs ressentent cependant déjà de plein fouet les conséquences de la dégradation des écosystèmes, notamment des augmentations de coûts, et même parfois des pénuries de matières premières. Les entreprises doivent donc agir en faveur de la biodiversité, en revoyant leurs processus de production et leurs politiques d’achat, et également en posant des actes concrets sur les sites qu’elles occupent et sur les infrastructures dont elles font usage.

En bref, elles ont un rôle majeur à jouer pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. Et ce sera même parfois pour elles synonyme de nouvelles opportunités: de nouveaux produits et procédés à développer, de nouveaux services à créer, avec en perspective, la création de nouveaux emplois verts.


Chez Skechers, des moutons ont remplacé les tondeuses à gazon.

«Nos talus accueillent chaque année une douzaine de moutons»

Sur le zoning des Hauts-Sarts, dans le nord de Liège, la société américaine de chaussures Skechers dispose d’un gros centre de distribution dont l’activité principale est la préparation des commandes et la livraison aux clients européens par transport routier.

Environ 1.250 personnes travaillent sur ce site bordé de talus à fortes pentes, compliqués à entretenir. Il y a cinq ans, la direction a décidé de recourir à l’éco-pâturage, notamment pour réduire les coûts d’entretien de ces espaces verts. Sur place, en compagnie de Christiane Penay, déléguée CSC Transcom, nous avons pu observer le troupeau de moutons qui fait – en mieux! – le travail des tondeuses.

«Nos talus accueillent chaque année une douzaine de moutons qu’un fermier nous amène en avril et reprend en novembre. à côté de mon travail de cariste, je fais partie des volontaires qui ont accepté de veiller sur ces moutons. Nous sommes en tout quatre à nous relayer pour cela durant nos heures de travail. Il faut vérifier s’ils n’ont pas de blessures, vérifier les abreuvoirs, les enclos et leur donner des compléments alimentaires. C’est une occupation un peu spéciale, mais j’aime beaucoup les animaux, et ces moutons sont une source d’amusement pour le personnel», explique Christiane Penay.

L’éco-pâturage a en effet de nombreux avantages écologiques: il évite la pollution des sols occasionnés par les traitements phytosanitaires et la destruction des habitats naturels par les tontes mécaniques. Autres atouts: les animaux ne tassent pas le sol, leurs déjections se dégradent vite et jouent un rôle à la fois de fertilisant et de micro-habitats pour le développement de champignons. Enfin, leurs pelages et sabots contribuent à l’équilibre de la diversité en transportant les graines.

Last but not least: un mouton qui broute ne fait pas de bruit! Cela fait une agression sonore de moins, appréciable sur ce site très fréquenté.


Des mares et des espaces naturels ont été aménagés sur les sites de Safran Aero Boosters.

Il faut davantage impliquer le personnel via la concertation sociale»

La direction de l’entreprise aéronautique Safran Aero Boosters s’est lancée en 2020 dans une démarche «biodiversité» sur les espaces verts de ses sites industriels
de Herstal et de Liers.

Les aménagements extérieurs qui ont été réalisés en trois ans ont modifié la physionomie du site, via la création de trois mares, de prés fleuris, de prairies de fauche, la plantation de 1.500 mètres de haies vives, l’installation de nichoirs et hôtels à insectes, de clôtures en bois, et d’un sentier autour de la mare, avec des panneaux didactiques et un espace de détente.

Pour mener cette démarche, l’entreprise s’est fait accompagner par Natagora, et plus récemment par l’équipe d’experts de PlantC. «Tout est parti du souhait de notre directeur de ne plus tondre ni traiter chimiquement nos espaces verts. Au début, lorsque nous avons arrêté de tondre nos pelouses toutes les semaines en été, certains trouvaient d’ailleurs que cela faisait négligé. On entendait dire aussi que l’entreprise allait mal et n’avait plus les moyens d’entretenir ses espaces verts», se souvient Éric Englebert, en charge de la direction du développement durable. Il a donc fallu sensibiliser le personnel, via notamment la réalisation d’une animation ludique lors d’une journée des familles.

Aujourd’hui, ces espaces verts font la fierté du personnel, même si pour Chantal, déléguée CNE, il est clair qu’il y a encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire. «En tant que représentants syndicaux, nous sommes très peu sollicités sur ces questions de biodiversité, contrairement à un autre thème proche, celui de la mobilité durable sur lequel nous avons beaucoup de retours. Nous avions eu cependant quelques réactions mitigées après le Covid, certains trouvant que ce n’était pas opportun d’investir dans des mares ou des haies alors que nous sortions à peine de la crise. Cela démontre qu’il faut davantage impliquer le personnel via la concertation sociale, pour que l’objectif et les résultats suscitent plus d’adhésion», estime-t-elle.

Récompensée en 2021 par la labellisation «Réseau Nature» décernée par Natagora, l’initiative du site liégeois a inspiré la maison-mère du groupe Safran, qui a décidé de l’étendre à tous ses sites.

Écoutez ci-dessous «Sale temps pour les abeilles», trois épisodes du podcast Opinions CSC consacrés à la perte de biodiversité

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© Shutterstock et Danièle Ernotte