La politique de l’administration Trump à l’égard de l’Ukraine a ravivé les débats sur la politique européenne en matière de défense. Avec son plan «ReArm Europe», la Commission européenne souhaite renforcer les capacités de défense européennes face à la menace russe et réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis. Jusqu’à 800 milliards d’euros pourraient être libérés pour financer des dépenses de défense. Pour la Belgique, cela signifie des opportunités accrues d’investissements et de création d’emplois dans ce secteur. «La défense est une industrie clé dans l’économie wallonne, rappelle Lahoucine Ouhribel, secrétaire général de la CSC Metea. La guerre en Ukraine a déjà réveillé un système de production intensif dans des entreprises comme la FN Herstal ou John Cockerill, mettant d’ailleurs parfois en difficulté les conditions de travail, puisqu’il fallait produire pratiquement jour et nuit dans des cadences quasi infernales».
Selon une analyse récente d’Agoria, l’industrie belge de la défense pourrait doubler de taille au cours des huit prochaines années, créant ainsi 8.000 emplois supplémentaires. Actuellement, ce secteur comprend plus de 70 entreprises, générant un chiffre d’affaires annuel de deux milliards d’euros (dont 1,8 milliards en Wallonie) et employant directement 5.000 personnes (dont 4.000 en région wallonne). «Si on inclut les emplois indirects, on parle d’à peu près 13.000 emplois, auxquels viennent s’ajouter ceux des secteurs qui ne sont pas liés à la défense pour produire des circuits imprimés, de l’acier pour la fabrication de blindés, etc. Mais, ajoute le secrétaire général, la hausse des dépenses de défense doit se doubler d’une volonté de renforcer la base industrielle pour permettre à l’Europe de récupérer sa souveraineté industrielle. Face à la dépendance aux États-Unis et au manque de matières premières, il faut que les États membres coopèrent et maîtrisent la chaîne de production pour créer une base industrielle européenne commune. Ce ne sera pas une mince affaire. Les États ont jusqu’à présent privilégié des approches nationales. Mais des programmes de coopération commencent à prendre forme, nécessité oblige.»
Pour pouvoir répondre à la demande croissante, les entreprises wallonnes doivent néanmoins faire face à plusieurs défis, entre autres en matière de recrutement de main-d’œuvre qualifiée. «Nous ne savons pas comment les montants européens seront alloués, mais la Belgique a des atouts en main, notamment au niveau du savoir-faire. Wallonie Entreprendre [le bras financier de la Région wallonne, NDLR] compte investir 2,5 milliards dans l’industrie wallonne et dans la défense en particulier. Cela embrasse des matières comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la maintenance d’armes... Il faut monter en compétence, via des formations et des reconversions, et préparer les travailleurs à occuper ces postes».
Pour ce secteur – et exclusivement pour ce secteur – la Commission européenne fermera les yeux en matière d’endettement face à l’urgence. D’autres urgences, comme le climat ou la désindustrialisation, n’ont étrangement pas eu droit aux mêmes faveurs. «La flexibilité budgétaire dont jouit ReArm Europe n’est pas normale, mais grâce aux dérogations budgétaires sur ce dossier, la Belgique peut s’endetter au-delà des critères de Maastricht pour financer ses dépenses de défense», constate M. Ourhibel. Dans son accord de Pâques, le gouvernement Arizona s’est donc engouffré dans cette fenêtre de tir industriel inattendue en prévoyant 21,3 milliards d’euros d’investissements supplémentaires dans la défense, dont 16,8 milliards sont déjà débloqués. «cet argent, à un moment donné, il va falloir le rembourser, et cela pèsera sur les finances publiques à long terme, tempère M. Ourhibel. Il ne faut pas que ces investissements deviennent à terme l’alibi de coupes budgétaires dans la santé, l’éducation, les pensions… Il faut diversifier les investissements et investir dans la recherche et le développement en matière d’alternatives industrielles. Il faut au moins que cet endettement crée des opportunités de création d’emplois chez nous et que les attributions budgétaires privilégient la cybersécurité et les infrastructures stratégiques énergétiques et de télécommunication, qui profitent à la fois aux militaires et aux civils.»
Dans ce contexte de réarmement, le débat sur les questions éthiques relatives à l’octroi de licences d’exportation d’armes refait également surface. Afin d’augmenter la réactivité du secteur aux commandes en lien avec la guerre d’agression en Ukraine, le gouvernement wallon envisage de rendre le système de licences moins contraignant, établissant une sorte de «fast track Ukraine». «Nous essayons de veiller à ce que les choix politiques concilient les impératifs économiques, sociaux et éthiques, explique le secrétaire général. Aujourd’hui, on entend des ministres et Agoria dire qu’il faut ouvrir les robinets des licences d’armes. S’il est concevable que le budget de défense soit augmenté face aux menaces potentielles que subit l’Europe, produire des armes qui pourraient être utilisées contre la population par des dictateurs qui n’ont aucun sens des droits humains est et reste inconcevable, même au nom de l’emploi. L’éthique ne doit pas être jetée à la poubelle pour faire tourner les entreprises.»
Les opportunités ouvertes par le contexte géopolitique instable ne peuvent, au niveau syndical, faire l’économie d’une prise de recul sur le plan social et d’un questionnement démocratique sur les priorités de l’Europe en matière de sécurité. La CSC a pris position en la matière (lire p.9). Car il ne faut pas que les choix posés en matière de défense se transforment à terme en un champ de mine social sécuritaire.
Ces investissements ne doivent pas être l’alibi de coupes dans la santé, les pensions...
La Wallonie joue un rôle central dans l’industrie de la défense belge, représentant 58% des entreprises
du secteur. Parmi les principales entreprises, on trouve:
Source des chiffres présentés: Grip, 2016: Panorama de l’industrie de l’armement en Belgique.
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