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L'info n°1023/05/2025

Ne dites plus 38 heures/semaine... mais 1.940 heures/an

Le gouvernement Arizona a un plan astucieux pour vous faire travailler plus longtemps, sans bénéficier d’un supplément ou de repos compensatoire pour les heures supplémentaires: l’annualisation du temps de travail.

Simon Bellens (adapt. D.Mo.)

Le gouvernement fédéral envisage d’introduire d’ici le 30 juin 2025 un nouveau cadre légal permettant l’annualisation du temps de travail et la fixation d’horaires «accordéon» pour les emplois à temps plein et à temps partiel. Allons-nous bientôt travailler plus de 45 heures par semaine en période de forte activité, et seulement deux demi-journées lors des périodes plus «calmes»? Avec l’annualisation, le temps de travail est calculé sur une base annuelle plutôt qu’hebdomadaire.

Pour les travailleurs, cette mesure risque d’engendrer une grande incertitude quant au nombre d’heures à prester chaque semaine. «La combinaison de cette mesure et de la suppression de la durée minimale du travail (actuellement un tiers d’un horaire à temps plein, NDLR) envisagée par l’accord de gouvernement, nous rapproche dangereusement des contrats d’appel», explique Christophe Vanroelen, expert en santé au travail (VUB). Ces contrats permettent d’appeler les travailleurs uniquement en période de forte activité, sans leur préciser à l’avance combien d’heures ils pourront travailler. «Officiellement, cette pratique reste interdite, mais certains travailleurs se trouveront dans une situation similaire.»

Diminution du bien-être mental

Combien d’heures pourra-t-on travailler par semaine au maximum, et quelle sera l’implication des travailleurs? La directive européenne sur le temps de travail fixe une durée maximale de travail: les travailleurs ne peuvent pas travailler plus de 48 heures par semaine en moyenne (y compris les heures supplémentaires), sur une période de référence de quatre mois. Une bonne décision, estime l’expert. «Les périodes structurelles de journées de travail extrêmement longues ont des effets négatifs bien connus. Mais c’est surtout l’incertitude quant à l’horaire qui entraîne une diminution du bien-être mental.»

Dans certains secteurs ou certaines situations, les semaines de 50 heures sont déjà autorisées, mais elles doivent être assorties d’un repos compensatoire ou un sursalaire. La loi concernant le travail faisable et maniable de 2017 prévoit déjà un cadre pour l’annualisation du temps de travail par les employeurs. Cette «petite flexibilité» est limitée à un maximum de cinq heures de plus ou de moins que le temps de travail hebdomadaire moyen (et deux heures par jour), avec un plafond de 45 heures par semaine. Moyennant un accord au niveau du secteur ou de l’entreprise, une «grande flexibilité» permettant de travailler jusqu’à douze heures par jour est possible.

La combinaison de cette mesure et de la suppression de la durée minimale du travail envisagée par l’accord de gouvernement, nous rapproche dangereusement des contrats d’appel»

Rapport de force

Christophe Vanroelen ne croit pas que l’annualisation soit une situation gagnant-gagnant pour les employeurs et les travailleurs. Les travailleurs ne pourraient-ils pas tout aussi bien choisir de travailler moins pendant les vacances scolaires? «Dans la pratique, c’est une question de rapport de force avec l’employeur. Dans quelle mesure les travailleurs choisissent-ils volontairement de faire des semaines de 48 heures, sans repos compensatoire ni sursalaire?», s’interroge-t-il. Cette annualisation risque par ailleurs de compliquer la détermination du temps de travail effectif et, conséquemment, de rendre plus difficile la vérification des salaires et la lutte contre les abus.

Le secteur de la surveillance recourt déjà largement à l’annualisation du temps de travail, comme l’explique Hervé Emeleer, permanent de la CSC Alimentation & Services: «À la fin de l’année, certains employeurs constatent que leur personnel n’atteindra pas les 1.940 heures. Ils tentent alors de rapidement leur faire rattraper les heures manquantes, que ce soit en haute saison ou non, pour éviter de devoir payer les heures non prestées. Les travailleurs peuvent consulter leurs heures prestées sur l’année. Toutefois, ils doivent attendre la fin du mois en cours pour connaître leur horaire du mois suivant. Cela crée beaucoup d’incertitude.»

Pour les employeurs, l’avantage principal est qu’ils ne doivent plus payer d’heures supplémentaires en période de forte activité, estime Christophe Vanroelen. En effet, avec l’annualisation du temps de travail, les heures «en plus» pendant les périodes de pointe ne comptent pas comme des heures supplémentaires. «Dans un marché du travail en pénurie, les employeurs cherchent à maximiser la productivité de leur personnel sans en supporter les coûts supplémentaires élevés. Reste à voir dans quelle mesure cette stratégie est soutenable», conclut l’expert.


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