Le dossier

L'info n°1808/11/2024

Violences sexuelles au travail:

un long combat

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À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui a lieu chaque 25 novembre, L’Info revient sur le fléau du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles au travail.

David Morelli

En 2017 débutait le scandale Weinstein. Cette étincelle a enflammé la mèche tressée par de nombreux mouvements féministes qui dénonçaient depuis des années les violences, entre autres sexistes et sexuelles, faites aux femmes depuis des années dans le monde et en Belgique. La déflagration médiatique et sociale provoquée par le mouvement #MeToo a permis de libérer la parole des femmes et de forcer la société à ouvrir les yeux sur les différentes formes de harcèlement et de violences qui leur sont faites.

Le travail, reflet de la société

Les violences sexistes nous concernent tous et restent encore malheureusement d’actualité. La violence et le harcèlement ne se limitent pas à la violence physique: ils incluent également la violence verbale et psychologique, l’intimidation sexuelle et la violence économique, la violence et le harcèlement moral… Ces violences mettent les femmes en situation d’infériorité par rapport aux hommes et constituent un obstacle à leurs droits, à leur intégrité, à leur autonomie et à leur santé. Elles prennent place dans tous les espaces de vie des femmes: dans la rue, dans la famille… mais aussi dans le monde du travail. «Le monde du travail reflète la société, rappelle Gaëlle Demez, responsable des Femmes CSC. Ces violences constituent une réalité à combattre au quotidien». Il existe au sein des entreprises une culture qui permet (ou non) des comportements qui relèvent du sexisme: faire des petites blagues sexistes en réunion, couper systématiquement les femmes qui prennent la parole, accueillir avec condescendance les jeunes travailleuses («ma puce, mon chou…»), etc. Heureusement, depuis #MeToo, on constate des avancées dans de nombreuses entreprises: les travailleuses osent de plus en plus s’exprimer face à certains comportements de leurs collègues.

Harcèlements

Selon de récentes statistiques1, en Belgique, près d’une femme sur trois (et près d’un homme sur cinq) déclare avoir été victime de comportements constitutifs de harcèlement sexuel au travail au moins une fois au cours de sa vie professionnelle. Pour deux victimes sur cinq, l’auteur était un ou une collègue sans lien hiérarchique, tandis que les supérieurs hiérarchiques sont mentionnés par 21% des victimes. Ce harcèlement peut se manifester sous différentes formes: regards insistants ou concupiscents, remarques équivoques ou insinuations, exposition de matériel à caractère pornographique, propositions compromettantes, attouchements, etc.

Graves conséquences

Les conséquences de ce type de violences sont souvent graves: elles affectent non seulement la santé mentale et physique des victimes, mais aussi leur carrière et leur bien-être général. Leurs effets sont d’autant plus sournois que la honte, le sentiment de culpabilité ou, dans certains contextes de travail malsains, le fait qu’il soit «normal» de tenir de tels propos, constituent des obstacles au témoignage de situations vécues. «L’idée que les femmes sont responsables des violences qu’elles subissent est une croyance assez partagée dans l’ensemble de la société», ajoute Gaëlle Demez. À cet égard, il est important de noter que les violences conjugales, si elles sont de l’ordre du privé, ont aussi des impacts sur le lieu de travail. «Il est fondamental que la victime puisse conserver son emploi et son autonomie économique et financière pour pour quitter cette situation le jour où elle le pourra», rappelle Gaëlle Demez.

Des avancées appréciables

Dans ce contexte, les témoins de ces violences ont aussi un rôle à jouer. Ils doivent pouvoir affirmer qu’un comportement, une blague ou un geste est inapproprié. À cet égard, une réglementation a été mise en place en mai 2023 pour renforcer la protection des travailleurs contre les représailles de l’employeur en matière de discrimination et de violence. Cette législation élargit le champ d’application des personnes protégées et supprime les exigences formelles pour les témoignages.
Ces derniers mois, deux autres bonnes nouvelles ont émaillé le front de la lutte des femmes contre ce type de comportement. La Belgique a adopté en juin 2023 une loi pionnière pour lutter contre les féminicides. Enfin, en juin dernier, la Convention 190 sur l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est entrée en vigueur (lire en page 8).

Mesures de prévention et de soutien

Les employeurs en Belgique sont tenus de prendre des mesures pour prévenir les risques psychosociaux au travail, y compris les violences et le harcèlement sexuel. Cela inclut la mise en place de politiques claires, la formation des travailleurs et la création de canaux sûrs pour signaler les incidents. Les travailleurs qui s’estiment victimes de violences peuvent également faire appel aux services de la personne de confiance ou du conseiller en prévention de leur entreprise, ou porter plainte auprès du service de Contrôle du bien-être au travail.

Si la législation belge en matière de lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel sur le lieu de travail est l’une des meilleures au monde, sa concrétisation sur le terrain n’est pas sans difficultés, a fortiori si une culture d’entreprise favorise ce type de comportement. Le rôle des délégués est crucial dans la conscientisation à cette problématique.

Les violences au travail sont une réalité à combattre au quotidien.





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On est en danger dans certaines situations!

Marylin, travailleuse dans les titres-services

"Je travaille dans le secteur depuis 15 ans. En arrivant chez un client, je me suis sentie dévisagée, littéralement déshabillée du regard. J’étais mal à l’aise. J’y suis néanmoins retournée, mais en effleurant son ordinateur alors que je faisais les poussières, l’écran s’est allumé, dévoilant de nombreuses photos à caractère pornographique. J’ai témoigné de mon expérience à mon retour au bureau. Mon employeur a accepté que je ne m’y rende plus, mais a envoyé une autre aide-ménagère à ma place. J’aurais préféré qu’il prenne la décision d’arrêter le contrat avec ce client, et ce d’autant que je n’étais pas la première à me plaindre de son attitude insécurisante vis-à-vis des travailleuses. J’ai l’impression que l’on est en danger dans ce genre de situation. La réponse de la direction n’est pas adéquate. Il faudrait une charte ou une convention reprenant des limites à ne pas dépasser."

Pour lutter contre les violences faites aux femmes, rejoignez-nous à l’occasion de la manifestation nationale qui aura lieu le dimanche 24 novembre au départ de la gare centrale.

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1. Enquête IWEPS/IBSA/Statistiek Vlaanderen, avril 2024.